mardi 26 mai 2015

Les chats du jazz

Les jazzmen aiment les chats. Dans l'argot du jazz un musicien est un "cat" comme dans les expression  "dig the way this cat is blowing !.."  ou bien "Hey man ! Dig the crazy changes this cat is playing !.. ".

Et les chats au fait, aiment-ils le jazz ?


La baronnne Pannonica de Königswarter aimait aussi les chats. Dans sa grande demeure sise au bord de l'Hudson où elle s'installa en 1972, elle en avait, dit-on, deux cent six. On appelait cet endroit la "Cathouse". Pannonica aimait passionnément  le jazz, et la Cathouse devint  fort logiquement un lieu de prédilection et pour certains parmi les plus illustres, un lieu de refuge  pour tous les "cats" que comptait  New-York en ces années là.


"Lassée d'être traitée en indésirable dans les hôtels, Nica, sur le conseil de Thelonious, achète une maison à Weekhaven, dans le New Jersey, maison construite dix ans auparavant par le cinéaste Josef  Von Sternberg, et qui sera baptisée par Monk Catsville, - " Cats " dans l'argot jazz noir américain signifie gars, musiciens - puis Cathouse, en raison de la  centaine de chats recueillis par Nica, militante de la protection animale. 

A travers les immenses baies vitrées, la vue sur le midtown Manhattan et le fleuve Hudson est magnifique. Nica et ses protégés ont enfin trouvé un lieu où se détendre, créer, jouer au ping-pong, dormir, répéter, faire des jam-sessions en toute liberté." 


On y rencontrait à vrai dire tout le Gotha du Jazz. Tous ceux qui comptaient à l'époque, et devenus célèbres depuis,  passaient par là :

Thelonious Monk bien sûr mais aussi Barry Harris, Wynton Kelly, Freddie  Hubbard,  Jimmy Cobb, Art Blakey, Doug Watkins, Hank Mobley, Albert Heath, Ronnie Matthews, Art Taylor, Blue Mitchell, Charles Mc Pherson, Bob Cranshaw, Frank Foster,  Paul Chambers, Cedar Walton, Kenny Clarke, Zoot Sims, Benny Green, Roland Hanna, Elvin Jones, Richard Williams, Bobby Timmons, George Coleman, Joe Zawinul, Benny Golson, Louis Hayes, Thad Jones, Clifford Jordan, Julian Priester, Clifford Jarvis, Bobby Hutcherson, Ron Carter, Bill Evans, Max Roach, Sam Jones, Kenny Burrell, 


Reggie Workman, Charlie Persip, Kenny Drew, Archie Shepp, Gerry Mulligan, Count Basie, Jack Montrose, Melba Lison, Art Farmer, Stanley Turrentine, Jaky Byard, Jimmy Heath,  Johnny Griffin, Herbie Nichols, Junior Cook, Babs Gonzalez, Cecil Payne, Eric Dolphy, Walter Davis, Roy Haynes, Lee Morgan, Red Garland, Bill Hardman, Pepper Adams, Andrew Hill, Wilbur Ware, Sonny Rollins, Sonny Clark, Richie Kamuca, Jay Jay Johnson, Horace Silver, Billy Higgins, Wayne Shorter, Hank Jones, Al Grey, Philly Joe Jones, Duke Jordan, Kenny Dorham, Curtis Fuller, Tommy Flanagan, Sun Ra, Joe Henderson, Cannonball Adderley, Elmo Hope, Clark Terry, Charlie Rouse, John Coltrane, ainsi qu'un certain Miles Davis et j'en oublie...



Il en est resté un extraordinaire ouvrage intitulé "Les musiciens de jazz et leurs trois voeux" qui rassemble tous les polaroids que la baronne avait pris l'habitude de prendre des jazzmen de passage, en les accompagnant  de petites fiches tapées à la machine  où figuraient à sa demande les trois voeux formulés par chacun.



Thelonious Monk vécut à la Cathouse jusqu'à la fin de sa vie. Concernant son rapport avec les chats de Nica, on rapporte quelque part à son sujet qu'il les détestait. Rien ne vient le confirmer, disons qu'à tout le moins il devait les supporter pour faire plaisir à sa grande amie de toujours.





Les chats font partie de l'imaginaire du jazz. De leur démarche souple et furtive, de leur "Cat Walk" ils en hantent les recoins. A commencer par leur présence sur la pochette de ce  disque de Tommy Flanagan, sobrement intitulé "The Cats" et où l'on entend John Coltrane  et Kenny Burrell sur plusieurs belles compositions du pianiste (Eclypso, Minor Mishap) . 




"The Cat Walk" est quant à lui un  thème de Donald Byrd, qui donne son titre à l'album Blue Note BLP 4075.





The "Little Giant", le saxophoniste Johnny Griffin n'est pas en reste avec sa propre composition intitulée... The Cat.


Un autre célèbre félin du jazz feule, ronronne et gronde sous les doigts de Jimmy Smith, aux commandes de son Hammond B3. Ce thème fut justement écrit par Lalo Schifrin pour la musique du film "Les Félins"  de René Clément. (Merci Alexandre !). La tonitruante  version originale mobilise le big band d'Oliver Nelson:





Ceux qui comme moi  tiennent en la plus haute estime Claude Nougaro, autre amoureux du jazz et inégalé sorcier des mots,  ne manqueront pas d'y reconnaître son chat francisé avec verve.






Dès ses origines, les compositions du jazz firent référence ou révérence aux chats, ainsi ce "Tom Cat Blues", de Jelly Roll Morton, interprété en 1926 par le grand cornettiste King Oliver.


Un an plus tôt, Clarence Williams en compagnie de Sydney Bechet avait joué ce roboratif et réjouissant "Wild Cat Blues":



Quelques années plus tard en 1959, Charlie Mingus enregistrait un lancinant et low-down "Pussy Cat Dues",  huitième  plage de l' album "Mingus Ah Hum", l'un des plus grands disques de toute l'histoire du jazz.



Ce petit inventaire félin et jazzistique ne saurait se conclure sans mentionner le nom de "El Gato", alias "Cat" Anderson, spécialiste des envolées stratosphériques dans le suraigu dans la section des trompettes de l'orchestre de Duke Ellington.



Je ne peux non plus manquer  d'évoquer un lieu mythique, disparu depuis, où j'eus le privilège de vivre pendant mes deux années parisiennes en 1968 et 1969 d'intenses et d'inoubliables instants à l'écoute de quelques uns  de ces prodigieux musiciens de légende qui demeurent à jamais dans la mémoire du jazz, Hank Mobley (1), Pepper Adams et Joe Henderson, mais aussi Tony Scott (accompagné par Philly Joe Jones en personne !), Ted Curson ou Charles Tolliver. C'était une cave en clair obscur où l'on accédait par un petit escalier. 

C'était un des club de jazz les plus "hip" au monde, en face du Caveau de la Huchette.  Contrairement à ce dernier, on n'y jouait que du "jazz moderne" et l'on y vit passer un peu plus tôt la fine fleur de cette musique, Bud Powell, Chet Baker, Eric Dolphy, Jackie McLean, Johnny Griffin, Lucky Thomson, Donald Byrd, Bobby Jaspar. Du nom d'une des rues paraît-il les plus étroites de Paris, qu'il jouxtait, il s'appelait..." Le Chat qui Pêche".




(1) Voir à ce sujet sur ce  blog mon article "Solitude de Hank Mobley"

Liens annexes:



Le formidable documentaire intitulé "The Baroness: the search for Nica, the rebellious Rothschild" , réalisé par Hannah Rothschild, la petite nièce de Pannonica de Königswarter est encore disponible sur amazon.


La chanson du Chat qui Pêche: