mardi 3 février 2015

Deux chanteuses oubliées, qui ne méritent pas de l'être. Deuxième partie: Joy Bryan

Joy Bryan n'aura, comme Lucy Ann Polk, laissé que deux albums, "Joy Bryan Sings" sous la référence Mode-LP 108, enregistré en juin 1957 avec le Septet de Marty Paich, et "Make The Man Love Me", sous la référence Contemporary M 6304, les 26, 28 et 29 juillet 1961, avec le soutien  d'une  exceptionnelle section rythmique constituée de Wynton Kelly, Al Viola, Leroy Vinnegar, et Frank Butler.




Ces deux disques ont été réédités sur le label Freshsound en un seul CD, pour le moment encore assez  largement disponible. Il inclut l'essentiel de ce qu'on peut savoir de l'itinéraire de Joy Bryan avec les "liner notes" de Joe Quinn pour le premier enregistrement, et celles de Leonard Feather pour la session Contemporary. 

On y apprend qu'originaire de Newcastle dans l'Indiana, Joy Bryan fut très tôt encouragée à chanter, sous l'influence d'une mère, elle même chanteuse, et d'un oncle prédicateur. (My oncle was a preacher in the Pentacostal church, where we clapped  hands and sang).

Ses débuts musicaux s'effectuèrent à Indianapolis auprès du pianiste Sanford Gold ("it was a strange band for  me to start with", she recalls, "because they had charts like "Groovin high" and "Salt Peanuts", and Dizzy and Bird didn't even exist in my world. During the four weeks with this combo I sat and hummed all the parts to myself and learned to love them.")

Ses premiers engagements dans les jazz clubs de la région lui firent rencontrer des musiciens de la scène locale, comme les frères Montgomery,  Carl Perkins, ou Leroy Vinnegar.

Après avoir quelque temps poursuivi une  carrière de chanteuse et de compositrice à Denver, puis à Salt Lake City, où elle se produit avec le trio de Dave Frishberg, elle finit par s'établir à Los Angeles en 1956. 

C'est là qu'elle sera  remarquée par Jimmy Rowles, expert notoire en ce qui concerne l'accompagnement des vocalistes, et chanteur lui même, qui la recommandera  à Marty Paich.  


Jimmy Rowles

Celui-ci sera  l'arrangeur de son premier album  pour le label Mode en rassemblant autour de Joy une formation de tout premier plan pour l'époque (Jack Sheldon (trumpet) Bob Enevoldsen (clarinet, bass clarinet, valve trombone) Herb Geller (clarinet, alto saxophone) Ronnie Lang (clarinet, baritone,alto saxophone) Marty Paich (piano) Red Mitchell (bass) Mel Lewis (drums)).

Le résultat est à la hauteur, comme en témoigne cette magnifique version de "Round Midnight".


ou ce  "When  it's Sleepy Time Down South":


Après un engagement au "Hungry I" de San Francisco, elle se produira  à Los Angeles avec Rowles et  Red Mitchell (Other than working with the Montgomery Brothers, these concerts were the most fun I ever had in music).

En 1961, Lester Koenig l'enregistre sous le label Contemporary, occasion d'offrir à sa voix plus bel écrin dont une chanteuse de jazz puisse rêver. Wynton Kelly est en effet un merveilleux accompagnateur, le plus grand sans doute, comme on peut s'en rendre compte en l'écoutant aux côtés de Dinah Washington,  mais aussi d'Helen Humes, Teri Thornton, Lorez Alexandria, Abbey Lincoln ou Mark Murphy. 

Wynton Kelly était à cette époque en Californie avec Paul Chambers et Jimmy Cobb, à l'occasion d'une tournée du quintet de Miles Davis qui donna lieu aux fameux enregistrements des "Friday Night and  Saturday Night at the Blackhawk" à San Francisco.


Lester Koenig saisira l'opportunité en empruntant  à Miles Davis sa légendaire "All-Star Rythm Section" pour produire le splendide "Gettin'  Together" d'Art Pepper.


Pour l'enregistrement de la session de  "Make The Man Love Me", Paul Chambers et Jimmy Cobb seront remplacés  par les bassiste et batteur maison, en l'espèce Leroy Vinnegar et Frank Butler, dont le puissant soutien  contribua a quelques uns des  plus beaux fleurons du catalogue Contemporary, (1)

Dans le morceau qui donne son titre à l'album, Joy Bryan donne toute la mesure d'un art vocal d'une très grande sensibilité, sublimé par l'accompagnement magistral de  Wynton Kelly. 


Sur "Almost Being in Love",  Kelly démontre son absolue maîtrise des lignes aériennes et du "comping". Le démarrage à 1:41 de son court chorus, avant les échanges avec Butler et Vinnegar et la reprise de la mélodie est un pur régal à lui tout seul.



"My Romance" est quant à lui un chef d'oeuvre de swing et de légèreté, introduit par la guitare d'Al Viola. On y entend Wynton  Kelly souligner d'un trait vif argent le  "castle" dans "My Romance doesn't need a castle rising in Spain", juste avant de nous gratifier d'un chorus alerte et bondissant, ponctué comme il se doit par Frank Butler ainsi que le faisait Jimmy Cobb, de la marque de fabrique de ce dernier, le très fameux rim shot sur le quatrième temps.



"The world of popular and jazz singing (which overlap and  in effect are often one world) contain two basic types of performer. One, found more often in the non-jazz area, is the show business virtuoso whose salient traits are extrovert projection, heart-on sleeve passion and a crowd-pleasing delivery of familiar material.

The other is the artist like Joy Bryan, whose emotional intensity can be discerned without the need of any such calculated effects, whose sensitive ear and jazz-oriented feeling are reflected in a essentially musical approach. Years of association with jazzmen have imbued her with the realization  that communication in music can be achieved on a person-to-person  rather than performer-to-the masses level. Her taste and honesty are reflected consistently in her work throughout these sides."

Goût, sensibilité, honnêteté, absence d'artifice, intensité émotionnelle, musicalité. Difficile de dire aussi bien  les choses que dans cette introduction de Leonard Feather au dos cet album unique et sans lendemain, un peu comme s'il n'avait plus été possible pour Joy Bryan d'imaginer faire mieux, et que,  d'une certaine façon, cette perfection-là suffisait à sa modeste ambition. Il est précisé sur l'unique fiche wikipedia disponible à son sujet (en allemand curieusement) que 1961 fut aussi l'année de son mariage avec Lester Koenig, son producteur, dont l'illustre firme, on en trouvera ici la passionnante histoire, un temps reprise par son fils John, fut rachetée  à la fin des années 1970 par Fantasy. 

Retournée semble-t-il volontairement à l'anonymat, il ne reste de Joy Bryan à présent, à l'exception de ces deux admirables disques, qu'une seule trace sous la forme d'un crédit photo pour la pochette du  disque "Straight Ahead" (Contemporary S-7635) des très renommés Poll Winners (Barney Kessel, Ray Brown et Shelly Manne),  enregistrés par  son mari Lester Koenig  le 12 juillet 1975.





(1) Pour Leroy Vinegar et/ou Frank Butler, Harold Land ("Harold in the Land of Jazz") , Phineas Newborn ("The Newborn Touch"), Hampton Hawes ("For Real"), Art Pepper ("Smack Up" et "Intensity") Curtis Counce ("You Get More Bounce with Curtis Counce", "Landslide", "Carl's Blues"), Teddy Edwards, ("Teddy's Ready", "Good Gravy",)  Sonny Rollins ("Sonny and the Contemporary Leaders"), Shelly Manne ( "My Fair Lady") etc...






lundi 2 février 2015

Deux chanteuses oubliées, et qui ne méritent pas de l'être.

Après l'indispensable Petit Dictionnaire Incomplet des Incompris  d'Alain Gerber, il faudra aussi un jour écrire celui des Oublié(e)s. Ce sont du reste parfois les mêmes. Ils ou elles ont joué, chanté à la faveur d'une réputation éphémère ou confidentielle, et puis s'en sont allé(es), disparaissant de la mémoire et  de la grande histoire.



Le catalogue de l'éditeur Fresh Sound recèle à cet égard de nombreux incroyables trésors retrouvés à la faveur d'opportunes et souvent improbables rééditions.

Curieusement, mais en fait non si l'on considère leur statut resté longtemps subsidiaire, pour ne pas dire  simplement récréatif ou pire encore décoratif, au sein des orchestres de jazz, à l'exception des  Ella, Billie, ou Sarah devenues divas à leur manière, il s'agit souvent de chanteuses.

Lucy Ann Polk et Joy Bryan en sont le parfait exemple. (Il faudra aussi parler un jour de Dolores Gray, Carol Sloane, Linda Lawson, Jeri Southern, Joannie Sommers, Beverly Kenney, Lorez Alexandria, Teri Thornton, Carline Rey et tant d'autres.) Les  discographies de Lucy Ann Polk et de Joy Bryan  ont en commun de ne comporter que deux enregistrements répertoriés et réédités en CD, ainsi que sur deux d'entre eux le fait  de bénéficier d'arrangements de Marty Paich. La présence du nom de ce dernier sur une pochette vaut toujours à elle seule garantie d'excellence.

En ce qui concerne Lucy Ann Polk, la notice Wikipedia est des plus succinctes, et il en faudra plus pour donner à sa biographie l'épaisseur de celle consacrée par Ellen Johnson à  Sheila Jordan,  à la carrière et à la notoriété sans commune mesure il est vrai.




Une première session, enregistrée à Hollywood en juillet 1953 nous la fait entendre sur de célèbres compositions de Burke & Van Heusen, au sein du Dave Pell Octet, accompagnée par Don Fagerquist (tp),  Dave Pell (ts) et Claude Williamson au piano, sur des arrangements de Shorty Rogers, autant dire ce qui se faisait de mieux à l'époque parmi les West Coasters.



"Swingin on a star", "Polka dots and moonbeams", "It could happen to you", sur toutes les plages la musique coule, limpide et heureuse.  L'exactitude dans la nonchalance, rien ne saurait mieux caractériser ce jazz californien des années cinquante. On ne peut que repenser en l' écoutant à ce qu'en disait il y a quelques années  Jacques Réda:

La West Coast... Qui s'y aventure s'y repose,
parmi des ombres et des clartés qu'un vent frais balance dans la tiédeur,
dans un espace clos où l'on voit miroiter au loin, par des trouées, la mer.

It could Happen to You:



But Beautiful:

Swingin' on a star:

La seconde session fut  enregistrée quatre ans plus tard, toujours à Hollywood, le 12 juillet 1957, publiée sur le label Mode sous le titre  "Lucky Lucy Ann". Lucy Ann Polk  avait alors trente ans. Comme souvent, Marty Paich y officie à la fois comme pianiste et comme arrangeur. On lui doit en particulier ce jubilatoire "Don Cha Way Go Mad", composé par Illinois Jacquet et Jimmy Mundy, sur des paroles d'Al Stillman,  et popularisé dans les versions de  Mel Tormé, Ella Fitzgerald et Frank Sinatra. On ne manquera pas en passant d'apprécier le délicieux "rendezvous" de Lucy Ann  dans:

"I must confess what you say is true
I had a rendezvous with somebody new
That's the only one I ever had
Baby, baby, don'cha go away mad"



How about You:

Just  A-Sittin  and  A-Rockin:



On prêtera de plus attention sur ces plages à la pulsation toute en souplesse et fluidité  entretenue par le tandem basse batterie Buddy Clark /  Mel Lewis. Le saxophone ténor mériterait à lui tout seul de figurer au répertoire des inconnus illustres, puisqu'il s'agit de Bob Hardaway, multi instrumentiste très actif dans le cadre des enregistrements de musiques de films pour les studios hollywoodiens. On peut trouver encore en édition japonaise un des rares disques,  probablement  le seul, enregistré sous son nom, en quartet avec Marty Paich et Larry Bunker, pour  le label Bethlehem (Bethlehem BCP 1026) alors même  qu'il avait  participé a de très nombreuses sessions en Big Band (avec Woody Herman et Stan Kenton notamment).



Pour la petite histoire Bob Hardaway est le fils de J.B. "Bugs" Hardaway, créateur du personnage de Bugs Bunny,  ainsi que plus tard celui de Woody WoodPecker pour les studios  de Walter Lantz.




A suivre Joy Bryan...

dimanche 1 février 2015

Art Blakey's Jazz Messengers at Ronnie Scott's

Cette video, parle d'elle même... Tout commentaire est superflu.