vendredi 4 mars 2016

Le chat de Camille Bertault n'aime pas la trompette...


Eric Le Lann est un merveilleux musicien. Mais sans doute  faudrait il essayer quelque chose de plus doux aux oreilles félines. Je suggère le "Alone Together" de  Kenny Dorham.  Les miens en tout cas ont l'air d'aimer...



J'en profite pour compléter le billet précédent de cet autre petit bijou de musicalité signé Camille en hommage au génial, au prodigieux Hermeto Pascoal.




[MAJ] Et aussi de cette autre video, qui m'avait échappé, mais qui ne le cède en rien  aux autres question charme, swing et musicalité, sur un chorus du grand Bill Evans.




mercredi 2 mars 2016

Camille Bertault, une nouvelle voix du jazz, à fleur de mots... (précédé de Petite histoire du vocalese).

Fidèle à ses origines, le Ceur qui Jazze adore sans modération les chanteuses et tout spécialement celles qui perpétuent la tradition du « vocalese », variante élaborée du scat, consistant à improviser des onomatopées rythmiques choisies sur l’instant au fil de l'imagination. Le mot « be bop » ou « re bop » en est lui même un exemple que le facétieux Dizzy Gillespie excellait à expliciter en « oop bop sh’ bam shoo be do bee ». On en trouve l’illustration dans un « The Champ » frénétique enregistré à la Salle Pleyel en 1953, prétexte après le chorus de Dizzy à de loufoques acrobaties vocales en duo avec son compère Joe Caroll.


Le « vocalese » proprement dit se définit par une contrainte ajoutée consistant à transcrire en paroles à la note près des compositions ou des improvisations choisies parmi les plus célèbres de l’histoire du jazz. Les deux pionniers notoires en furent King Pleasure et Eddie Jefferson.

S'il fallait situer un peu arbitrairement l'acte de naissance du vocalese, cela pourrait être sans doute le chorus de James Moody dans "I'm in the mood for love" , dans la transcription qu'en fit le chanteur King Pleasure, malheureusement un peu oublié de nos jours


On aurait pu également citer son séminal "Parker's Mood", qu'utilisa Clint Eastwood pour la bande son du film "Bird", avec Forest Whitaker dans le rôle de Charlie Parker.


Eddie Jefferson à son tour trouva son inspiration dans les chorus historiques du Bird, qu'il reproduisit comme il se doit note à note conformément à la règle du vocalese. Les différentes versions qu'il enregistra de "Ornithology" demeurent des pépites d'anthologie:


Quant à sa  reprise du cultissime "So What" de Miles Davis, elle marqua également les esprits à sa sortie et reste une incontournale référence du genre

 

Miles Davis inspira décidément les maîtres du vocalese. En voici un autre bel exemple par Jon Hendricks que le chanteur Kurt Elling considère comme "the godfather of vocalese and perfecter of the art". On l'entend ici en troisième avec Bobby Mc Ferrin et Al Jarreau reprendre le solo de Coltrane dans "Freddie Freeloader", immédiatement après ceux de Wynton Kelly et de Miles Davis.


Pour en revenir aux chanteuses, on ne saurait passer sous silence la contribution de Annie Ross à l'art du « vocalese » au sein du trio « Lambert Hendricks & Ross » dans « Twisted » sa légendaire adaptation des chorus de Wardell Gray.


On se souviendra aussi des merveilleux « Double Six of Paris » fondés par Mimi Perrin, il y aura maintenant cinquante sept ans, sommet du vocalese ou s'illustrèrent entre autres Claudine Meunier, Christiane Legrand, Ward Swingle, Bernard Lubat et Eddy Louiss, sur des arrangements de Dizzy Gillespie ou Quincy Jones. Sous la plume imaginative et fertile de Mimi Perrin, le « Scrapple From the Apple » de Charlie Parker devenait l'histoire de deux copines dont les compagnons passaient leur temps au bar.

Prenons le temps qu'les gars n'sont pas là
Pour parler prenons tout le temps qu'on pourra
Tant qu'on est là toutes les deux
Tenez, nous on parierait bien
Que nos malabars pintent au bar!

Prenons le temps qu'les gars n'sont pas là
Pour parler prenons tout le temps qu'on pourra
Tant qu'on est là toutes les deux
Tenez, nous on parierait bien
Qu'ils nous ramèneront la gueule de bois !



« Anthropology » enregistré avec avec Dizzy, se métamorphosait pour sa part en « T'a pas oublié ton bonnet, père du bop ? »

Dans  cette video Mimi Perrin explique sa conception du vocalese avant d'interpréter avec les Double Six le « Four Brothers » de Woody Herman:


On comprendra donc mieux pourquoi le Coeur qui Jazze ne pouvait manquer de battre un peu plus fort en découvrant un jour par hasard sur YouTube la voix de Camille Bertault. 


Dans une de ses premières video qui totalise un nombre toujours croissant de vues, on la voit chanter chez elle « Giant Steps » de John Coltrane dont on perçoit le saxophone en arrière plan. Le thème est exposé sur des paroles originales de sa composition.


Pas de géant tu
As fait quand tu a compris
Que tu n'es pas là pour être ce
Que le monde veut
Pas de géant tu
As fait quand ce que tu donnes
Vient d'ici, pas d'ailleurs
Ni d'la-bas
Et  qu'tu sais là où tu vas

Vient alors l'impro où Camille Bertault épouse en y fondant sa voix toutes les sinuosités du chorus de Coltrane. Réputée difficile la grille défile rapidement à la cadence de deux accords par mesure dont elle se joue avec une gracieuse et déconcertante aisance. C’est déjà fini… Et on en redemande encore.

Tout récemment  et pour le plus grand bonheur de l’auteur de ces lignes dont c’est probablement l’enregistrement favori, son répertoire s'est enrichi du « Yes or No » de Wayne Shorter extrait de l'album Blue Note BST 84182 intitulé « Juju », un des plus beaux disques du saxophoniste et peut-être même de toute l’histoire du jazz.



A peine publiée cette video a été partagée sur la page FaceBook de Wayne Shorter en personne. Difficile pour Camille Bertault de rêver plus belle consécration, à la veille de la sortie de son premier disque, joliment intitulé « En Vie », et dont j'emprunte à Christophe Jenny du site bananierbleu cette excellente recension à laquelle je ne peux que souscrire mot pour mot:

« C'est frais, c’est vif, c’est habile et léger, c’est beau et mélodieux, poétique, ça pétille ; c’est admirablement soutenu par le trio Olivier Hutman, Gildas Boclé, Antoine Paganotti. Camille Bertault met avec malice des mots français sur les standards, pose les mélodies avec grâce, et décolle sur les chorus avec toute l’amplitude de sa voix, en un équilibre vertigineux mais toujours juste. « En vie », c’est aussi « Envie », et c’est le sentiment que procure l’écoute de l’album, un optimisme résolu, une envie de faire, de ressentir, de profiter… et de réécouter ! Au piano, Olivier Hutman est toujours juste, et colle son jeu aux douces folies de Camille (Tatie Cardie), tandis que Gildas Boclé comme Antoine Paganotti tissent un tapis soyeux sous ses improvisations. Les arrangements et compositions laissent d’ailleurs une belle place aux musiciens qui l’accompagnent en confortant cet esprit de finesse et de légèreté. »


L'album, attendu impatiemment par ses fans est disponible en pré-commande sur le site de Sunnyside Records, avec trois morceaux disponibles en téléchargement, dont un "Infant Eyes" pour lequel les lecteurs fidèles du Coeur qui Jazze auront deviné ma préférence. Les deux autres qu'on se rassure swinguent outrageusement et le piano de l'excellent Olivier Hutman n'y est évidemment pas pour rien.


Je renvoie également à un autre  article signé d'Aliette de Laleu publié sur le site d'Open Jazz sur France Musique. On y en apprend un peu plus sur son parcours et ses motivations. On y lit en particulier ceci (les propos de Camille sont en italique) :

« Pour assurer les solos les plus difficiles - comme Giant Steps de John Coltrane - Camille s’entraîne un peu tous les jours : « Il y a certains passages que je ralentis pour mieux les comprendre car le saxophone sonne différemment par rapport à la voix. »





Camille commme elle vient de le confirmer, interviewée par Alex Duthil dans son Open Jazz du 27 avril, aime par dessus tout l'improvisation. Improviser, elle l'a toujours fait, et continue à le faire, que ce soit sur le web ou sur scène, ainsi que dans cette performance impromptue, a capella, qu'elle offrit ce jour là en direct aux auditeurs de France Musique. (C'est à 18:05 sur le replay, mais il faut absolument écouter l'émission en entier).

Camille Bertault dans Open Jazz sur France musique (La video vient d'être publiée sur YT)



Le Coeur qui Jazze a entrepris de rassembler quelques une des videos Youtube publiées de Camille Bertault, assorties des versions originales, histoire de redécouvrir comme si c’était la première fois les moindres inflexions de lignes mélodiques que l’on croyait connaître par coeur. On imagine assez bien la difficulté de l'exercice (essayez-donc pour voir) ainsi que les heures de travail et de patience qu'il aura fallu à Camille pour venir à bout de tous les défis qu'elle semble avoit décidé de se donner à relever.

Les videos de Camille Bertault disponibles sur YouTube:


Tout d'abord « Mr P.C. » en complément de « Giant steps » (P.C. sont les initiales de Paul Chambers). Ce morceau qui invite nombre de jazzmen à la virtuosité fait également partie du premier disque enregistré par John Coltrane pour le label Atlantic.



« Strode Rode » de Sonny Rollins et son fameux « stop chorus » sur l'album « Saxophone Colossus », son chef d'oeuvre enregistré en 1956 pour Prestige.




« Blue Train », le cadeau de Noël de Camille Bertault

 


« If I Should Lose You », le standard de Leo Robin et Ralph Rainger par Hank Mobley:

J'ai particulièrement craqué je l'avoue pour cette reprise du solo de Hank Mobley en la découvrant, dans la mesure où:

1) J'adore Hank Mobley, tout Hank Mobley:


2) Ce disque "Soul Station", Blue Note BLP 4031 en quartet avec Wynton Kelly, Paul Chambers et Art Blakey est un pur chef d'oeuvre, qui se bonifie à l'épreuve du temps et fait partie bien entendu aussi de mes tous premiers albums favoris

3) J'ai eu l'extrême privilège d'écouter souvent Hank Mobley quand il vivait à Paris, ainsi que je l'évoque ailleurs dans ce blog (voir Solitude de Hank Mobley) 
Pour ces trois raisons, (message personnel), merci Camille !






« Isfahan » de Joe Henderson: 

Joe Henderson, un autre des mes héros, encore, ici dans Isfahan, admirable composition de Billy Strayhorn extraite de l'album « Lush Life » The music of Billy Strayhorn". Joe Henderson aussi, jouait à Paris en ces années là. Un autre souvenir marquant fut celui d'un soir au Chat qui Pêche. La cave était peu remplie. Le premier set du quartet de Joe Henderson battait son plein, accompagné par le trio de George Arvanitas. Un groupe de touristes allemands je crois était descendu, et parlait bruyamment, portant peu d'intérêt à la musique. A un moment ils se levèrent tous pour remonter l'escalier et je réalisais que j'étais à présent seul dans la cave du « Chat »,  ce qui n'empêcha pas le quartet de démarrer son deuxième set et de le jouer jusqu'au bout, comme si de rien n'était. Je fus je crois ce soir là à l'issue de  ce concert privé,  l'homme le plus heureux sur terre !






Dans un registre différent on découvre une autre facette de l'inspiration de Camille Bertault, avec cette reprise simultanée en image dans l'image du solo de Cory Henry dans "Lingus" par le groupe "Snarky Puppy", impressionnant de technique instrumentale, de couleurs sonores et funky à souhait.


Et puisque ce blog est aussi celui des chats du jazz je ne pouvais manquer de clore cet inventaire tout en swing et en douceur par une dernière video titrée « Camille, scat, cat and Brad Mehldau » où celle-ci nous enchante littéralement d'un délicieux moment de félicité féline avec ce « I didn't know what time it was » qu'on dirait tout entier dédié à la joie  simple et profonde d'être ici et maintenant... « En Vie ».


Camile Bertault nous informe sur sa page FaceBook que "En Vie" est à présent disponible sur Itunes