Pourquoi le coeur qui jazze ?

C'était le temps des copains, le temps des yéyés, au milieu des années soixante. J'aimais déjà le jazz, mais la connaissance que j'en avais  se réduisait aux quelques quarante cinq tours de la discothèque paternelle, non des moindres, car un en plus d'un "Black and blue" par Claude Luter, y figuraient les "Oignons" de Sydney Bechet " dont les breaks avaient paraît-il l'effet de me faire éclater de rire quand j'étais petit, "Don't talk about me when I'm gone" d'Erroll Garner, ainsi que le quintessentiel "Swingin" the blues" de Count Basie.

Comme tous les teen agers de l'époque, et non sans le sentiment d'une certaine transgression, j'écoutais "Salut les copains" en rentrant du lycée. La musique ne me plaisait pas spécialement mais j'avais un petit faible, je l'avoue, pour la reprise par Petula Clark du "Don't make me over" de Dionne Warwick. Si je parle de Petula Clark, c'est par ce que je lui dois d'avoir, au détour d'une interview, entendu parler  pour la première fois d'un jeune saxophoniste du nom de John Coltrane.



Au temps des idoles, je n'en eus qu'une seule et ce fut France Gall qui, paradoxalement, chantait  "N'écoute pas les idoles" dans son premier disque. Un deuxième disque acheva de me rendre fan absolu avec à côté d'un gentillet mais déjà jazzy "Mes premières vraies vacances", un "Jazz à gogo" plein de swing avec ce qui devait devenir son gimmick régulier, un scat à la voix haut perchée,  remixée en re-recording. Je ne connaissais pas encore les performances vocales de Mimi Perrin avec les double-six, mais on était un peu dans l'esprit.

En 1965, au concours de l'Eurovision, France Gall  triomphait  avec le  "Poupée de cire, poupée de son" de Gainsbourg. Sur le quarante-cinq tours, une chanson se démarquait des niaiseries  qui avaient cours alors, avec un remake de "Jazz à Gogo" intitulé "Le coeur qui jazze". Et nous y voilà : assise ternaire, pulsation d'une vraie section ryhtmique de jazz,  passages en scat remixé, tout y était !




Je ne fus pas étonné d'apprendre plus tard que l'artisan de ce petit bijou n'était autre qu'Alain Goraguer, excellent pianiste de jazz et arrangeur, à qui le père de France Gall, amateur de jazz lui aussi probablement, avait donné carte blanche pour sortir des sentiers battus de la banale variété.


J'eus bien entendu largement eu  l'occasion par la suite d'écouter des formes de jazz moins basiques, mais je garde une tendresse particulière pour ce "Coeur qui jazze" qui aujourd'hui encore n'en finit pas de jazzer  en moi.

Pour un blues entendu
Tout au fond de la nuit
D'une petite rue
De la ville endormie

Moi j'ai le cœur qui jazze
J'ai le cœur qui jazze
Qui jazze, qui jazze, qui jazze, qui jazze

Et pour le grand éclair
D'un orchestre d'enfer
Qui éclate en plein ciel
Aussi chaud qu'un soleil

Moi j'ai le cœur qui jazze
J'ai le cœur qui jazze
Qui jazze, qui jazze, qui jazze, qui jazze

Et j'ai le cœur qui jazze
J'ai le cœur qui jazze
Qui jazze, qui jazze, qui jazze, qui jazze

Pour un voilier qui danse
Pour une fleur des champs
Pour tes yeux quand j'y pense
Et j'y pense souvent

Moi j'ai le cœur qui jazze
J'ai le cœur qui jazze
Qui jazze, qui jazze, qui jazze, qui jazze

Pour cette peur d'aimer
Qui parfois me poursuit
Pour le moindre couplet
Que me chante un ami

Moi j'ai le cœur qui jazze
J'ai le cœur qui jazze,
Qui jazze, qui jazze, qui jazze, qui jazze

Pour une grande joie
Ou pour un peu de peine
Un rien venant de toi
Un tout petit je t'aime

Et j'ai le cœur qui jazze
J'ai le cœur qui jazze
Qui jazze, qui jazze, qui jazze, qui jazze