samedi 26 mars 2011

Un très grand " bon petit disque " de Blue Mitchell

Une de nos plaisanteries favorites, avec mon copain Roland, lui aussi amateur d'excellente musique et fin connaisseur de blues et de british rock, était de catégoriser nos disques respectifs en "pur chef-d'oeuvres", "essentiels", "indispensables",  et autres "raretés", auxquels je m'empressai d'ajouter celle des "bons petits disques", expression utilisée au cours  des mémorables séances de blindfold test qui avaient lieu chez un autre ami, Jean Paul Florens, prof de jazz à Marseille et par ailleurs excellent guitariste.

Il s'agissait d'identifier tous les musiciens jouant sur les morceaux que chacun venait tour à tour proposer à la sagacité des autres. C'était surtout une occasion unique de découvrir de très nombreux "bons petits disques", bien évidemment beaucoup moins connus que le "So What" de Miles Davis. C'était aussi l'époque où  le collectionneur avait beaucoup plus difficilement accès qu'aujourd'hui aux albums originaux publiés aux Etats-Unis sur les labels Prestige, Blue Note,  Riverside, Contemporary et d' autres moins connus comme Argo, Pacific Jazz ou Vee Jay.

Or il se trouve que certains "bons petits disques" finissent par devenir avec le temps et l'écoute répétée, de très grands disques, accédant ainsi au statut d' "essentiels", voir même d' "indispensables".

Ce sont peut-être ceux-là que l'amateur finit par affectionner autant sinon plus que des chef-d'oeuvres plus notoires et ceux là aussi que probablement il finirait par emporter sur la fameuse île déserte (ce qui au passage soulève immédiatement la question: mais comment va-t-il pouvoir y brancher son ipod ?).


C'est sûrement le cas de ce "Blue Soul", une session dirigée par le trompettiste Blue Mitchell, et enregistrée en septembre 1959 pour Riverside, label mythique fondé par Orin Keepnews dans ces années là. La pochette originale de l'édition vinyle est en elle même un superbe collector, avec sa typo en couleurs sur une très belle  photo en noir et blanc de Blue Mitchell.

Le contenu est quant à lui un véritable régal, à commencer par "Minor vamp" et son démarrage au quart de tour par la seule ligne de basse de Sam Jones en prélude à l'énergique entrée en scène du leader, suivi d'un motif répété (vamp) au trombone et sax ténor. Pendant le chorus de Wynton Kelly, aisément reconnaissable à sa manière unique, à la fois légère et dansante de faire rebondir la mélodie de mesure en mesure, le tandem basse batterie tourne à plein régime et swingue avec une intensité croissante qu' accentuent facétieusement les doubles rim shot frappés sur le rebord de sa caisse claire par un Philly Joe Jones très en verve.

Le reste du disque est à l'avenant, avec une mention spéciale pour "Nica's Dream", cette composition de Horace Silver, qui est l'un des plus beaux thème souvent repris au répertoire des jazzmen. Elle vient rappeler que Blue Mitchell, en compagnie de Junior Cook puis de Joe Henderson fit partie de la formation du pianiste de 1959 à 1964, contribuant à ces disques devenus depuis des classiques, sur lesquels je ne manquerai pas de revenir.

1959 Finger poppin, Blowin the blues away
1960 Horace-scope
1961 Doin' the thing at the Village Gate
1962 Tokyo Blues
1963 Silver's Serenade
1964 Song for my father

vendredi 25 mars 2011

Barry Harris at the Jazz Workshop

Et voici un des joyaux de ma CDthèque à présent, "Barry Harris at the Jazz Workshop", enregistré les 15 et 16 mai 1960 à San Francisco. On s'y retrouve plongé dans l'ambiance typique d'un club de jazz, avec bruits de conversations et applaudissements. On y entend un trio formé de Barry Harris au piano, Sam Jones à la contrebasse et Louis Hayes à la batterie. C'était à l'époque la section rythmique de Nat et Cannonball Adderley,  sur la plupart des grands disques enregistrés par les  deux frères.



Le set s'ouvre par un prometteur "Is You Is or Is You Ain't My Baby?"  avec un efficace accompagnement aux balais de  Louis Hayes, qui se révèle ici, comme il le fera plus tard avec Oscar Peterson, un des meilleurs spécialistes de cet outil si particulier, parfaitement adapté au jeu en trio, et que j'affectionne tout particulièrement.

Ainsi confortablement soutenu,  Barry Harris y déploie une ligne mélodique chantante  et décontractée. Tout est comme il doit l'être, et sa  musique coule naturellement, avec une superbe évidence, marque des grands maîtres. Je ne suis pas seul à tenir Barry Harris pour un des plus grands phares de l'instrument, dans la tradition inaugurée par Bud Powell, le pianiste de Charlie Parker, dont il est  le plus proche héritier. Malgré tout, en dehors d'un public d'inconditionnels, il reste  encore à mon sens aujourd'hui trop méconnu et sous-estimé.

Cette session californienne, paradoxalement  emblématique d'un jazz dit "hard bop" plutôt pratiqué à cette époque sur la côte est, pourrait tout aussi bien appartenir à la tradition  décontractée du style "West Coast".  Mais compte tenu des croisements, des échanges et influences mutuelles, cette opposition tranchée entre un Ouest "cool" et un Est effervescent parait à présent bien artificielle, alors qu'elle suscita de grands  débats dans le petit monde de la critique de jazz de l'époque.

Barry Harris quant à lui est natif de Detroit, berceau comme Philadelphie, d'une école de musiciens au style très caractéristique comme Kenny Burrell, Doug Watkins, Louis Hayes, son batteur  dans le disque, ainsi que son ami Tommy Flanagan, dont il est toujours  resté très proche, humainement et musicalement.

Le reste de la soirée est tout  aussi enthousiasmant, tant par le choix des thèmes (un magnifique "Star Eyes", "Moose the Mooche", de Charlie Parker, "Lolita", une composition originale du pianiste) que par
la respiration et l'élégance des improvisations. Ici en liberté, cette section rythmique d'exception, une des plus swinguantes  de toute l'histoire du jazz (1) délivre le meilleur d'elle même. Louis Hayes ponctue, pulse sur la grande cymbale, la basse de Sam Jones, tendue,  ronde et  élastique,  ronronne  pendant que sous  les doigts d'un Barry Harris en état de grâce, naissent de longues lignes souple et sinueuses, comme un chant profond inspiré par ce qu'il nomme lui même "the spirit of be-bop".

Que demander de plus ?  Ne passez surtout pas à côté de cette occasion de découvrir le jazz détendu et jubilatoire de  trois grands maîtres au sommet de leur art,  soudés dans un évident plaisir  de jouer ensemble qui ne demande qu'à devenir le nôtre à les écouter.

(1) sans oublier naturellement  les deux formidables  sections rythmiques  qui accompagnèrent  Miles Davis dans les années soixante,  respectivement   Red Garland, Paul Chambers, Philly Joe Jones, et  Wynton Kelly, Paul Chambers, Jimmy Cobb.

mercredi 23 mars 2011

Du Big Band, encore...

Si comme moi vous raffolez de ces grosses machines qui vrombissent et pétaradent en riffs puissants,  et la section de saxes qui se met à swinguer à l'unisson, pendant que les cuivres "éclatent en plein ciel", voici un autre big band de rêve,  dirigé dans les années soixante-dix  par les batteurs Kenny Clare et Kenny Clarke, le Kenny Clarke / Francy Boland big band. Les disques se faisaient rares, mais on finit par en retrouver l'essentiel sur Amazon  en cherchant un peu. S'il fallait élire deux, allez, trois disques sur l'ensemble, tâche bien difficile, tant tous atteignent l'excellence, il y aurait :

"Handle with care", disque Atlantic, devenu assez rare malheureusement, avec une fabuleuse version de Get out of Town, où la section de saxes est magnifiquement mise en valeur dans un des plus exaltants arrangements à l'unisson que je connaisse.


"Sax no end", avec là aussi une très longue et roborative "improvisation écrite", si l'on peut oser cet oxymore, exécutée par  la section  des saxophones au grand complet dans le thème titre. Oscar Peterson reprendra  cet arrangement dans "Travelin On",  le sixième volume de sa série enregistrée comme ce disque et le suivant  pour MPS, initiales de  Musik Produktion Schwarzwald, alias Most Perfect Sound au début, la compagnie fondée en Forêt Noire par l'ingénieur allemand et  mélomane  Hans George Brunner Schwer.

Et donc également "Fellini 712", la très belle suite dédiée à Fellini.








Le disque Atlantic semble épuisé en CD, où alors fort coûteux d'occasion mais disponible en téléchargement MP3



Même chose pour Fellini 712, malgré tout disponible en téléchargement

mardi 22 mars 2011

Straight Ahead

Quelques notes installées au piano, le pouls élastique d'une section rythmique en état de lévitation, et soudain dans une explosion de cuivres, la machine rutilante et bien huilée du  Count Basie Big Band, dans ce que je tiens pour un de ses meilleurs disques. On y retrouve toute la puissance  des  sessions "Atomic",  sur les arrangements de Sam Nestico, spécialiste  à l'instar de  Bill Holman,  de somptueux unissons de saxes, dans le thème titre en particulier. Harold Jones y tient la batterie, délivrant comme Sonny Payne à l'époque "pêches" et  breaks fracassants. Et s'il fallait un seul exemple de la quintessence de cette énigmatique et indéfinissable qualité de la musique de jazz que les amateurs nomment le swing, on le trouverait à coup sûr dans toutes les plages de ce disque, à posséder en priorité, s'il n'en fallait qu'un seul, du "Kid from Red Bank".



Street of dreams

Encore un disque d'orgue, particulièrement original, puisqu'on y entend une formation orgue, guitare, vibraphone et batterie, ce qui est plutôt rare.

Larry Young, Bobby Hutcherson, Grant Green, et Elvin Jones en sont les protagonistes, et y créent un climat exceptionnel, sur de superbes thèmes pris en tempo lent à medium. Le pédalier de Larry Young entretient une très belle respiration , et le vibraphone de Bobby Hutcherson plane magnifiquement sur l'accompagnement orgue et guitare. Quant à Elvin Jones, rarement entendu en ce contexte si cool, il pousse les solistes en  cascades de triolets sur ses caisses, et  sa  pulsation aux  cymbales est comme d'habitude une merveille d'élasticité et de décontraction.


Tous les thèmes,  Street of dreams, Lazy Afternoon, Somewhere in the night, sont des standards, superbement réinterprétés, avec une mention spéciale pour I Wish you love, où on  on reconnaîtra le fameux "Que reste-t-il de nos amours" de Charles Trenet. L'absence d'aspérité en ferait une excellente musique de fond, mais ce disque mérite de toute évidence bien mieux que cela.


dimanche 20 mars 2011

Juju

Wayne Shorter est au panthéon (surpeuplé) de mes saxophonistes ténors favoris. Pour aller vite et de loin c'est d'abord un coltranien, au son peut-être moins tranchant, avec des inflexions et une texture immédiatement reconnaissables. C'est aussi un compositeur génial, aux mélodies lyriques et inspirées, dont beaucoup sont régulièrement reprises par les jeunes jazzmen.




Son disque intitulé Juju est très certainement pour moi le disque de l'île déserte. Je l'avais reçu en cadeau lors de mon premier abonnement à Jazz Magazine, c'était... il y a longtemps. 


C'est bien simple, depuis je l'ai écouté des centaines de fois, le rachetant en plusieurs éditions vinyle, puis en CD japonais, remasterisés etc... En fait il s'agit, au bassiste près, de la formation de John Coltane, avec Mc Coy Tyner et le batteur Elvin Jones. 


L'intro du thème titre donne d'emblée un exemple du jeu complexe, foisonnant et entrecroisé, aux toms et aux cymbales, de ce dernier. Tous les autres morceaux, Mahjong, Yes or No, Deluge, House of jade, sont de purs chef-d'oeuvre, renouvelant à chaque fois un inépuisable  bonheur d'écoute.

Atsuko Hashimoto

Entendu sur Openjazz (France Musique), trouvé sur Amazon.fr et aussitôt commandé, le dernier disque d' une formidable organiste japonaise, sur Hammond B3 comme il se doit et dans la grande tradition de ce splendide instrument, aux sonorités flamboyantes.

"The incredible" Jimmy Smith fut un des premiers à en faire rugir les registres, tout en s'appuyant au pédalier d'une ligne de basse à la souplesse féline.




Il y eut la période Blue note, "orgue plus saxophone", avec les Don Wilkerson, Baby Face Willette, Jimmy Mc Griff, Freddie Roach, John Patton, Richard "groove" Holmes, et un peu plus tard Larry Young.

Les femmes ne sont pas en reste avec les deux Scott, Shirley et Rhoda.

A leur suite, Atsuko Hashimoto, car tel est son nom, n'y va pas par quatre chemins dans un "All or nothing at all",  propulsé sur un tempo jubilatoire par Jeff Hamilton, ancien accompagnateur de Monty Alexander.




The sermon



Jimmy Smith est le maître du B3. Redoutable évangéliste, il délivre ici un message plein d'âme, en compagnie de Lee Morgan, Lou Donaldson, et Tina Brooks. 

A la batterie Art Blakey. Une jam session torride de la grande époque Blue Note. Effet euphorisant et anti-dépresseur assuré.




Issu de la même session, l'indispensable complément du disque précédent: