Et voici un des joyaux de ma CDthèque à présent, "Barry Harris at the Jazz Workshop", enregistré les 15 et 16 mai 1960 à San Francisco. On s'y retrouve plongé dans l'ambiance typique d'un club de jazz, avec bruits de conversations et applaudissements. On y entend un trio formé de Barry Harris au piano, Sam Jones à la contrebasse et Louis Hayes à la batterie. C'était à l'époque la section rythmique de Nat et Cannonball Adderley, sur la plupart des grands disques enregistrés par les deux frères.
Le set s'ouvre par un prometteur "Is You Is or Is You Ain't My Baby?" avec un efficace accompagnement aux balais de Louis Hayes, qui se révèle ici, comme il le fera plus tard avec Oscar Peterson, un des meilleurs spécialistes de cet outil si particulier, parfaitement adapté au jeu en trio, et que j'affectionne tout particulièrement.
Ainsi confortablement soutenu, Barry Harris y déploie une ligne mélodique chantante et décontractée. Tout est comme il doit l'être, et sa musique coule naturellement, avec une superbe évidence, marque des grands maîtres. Je ne suis pas seul à tenir Barry Harris pour un des plus grands phares de l'instrument, dans la tradition inaugurée par Bud Powell, le pianiste de Charlie Parker, dont il est le plus proche héritier. Malgré tout, en dehors d'un public d'inconditionnels, il reste encore à mon sens aujourd'hui trop méconnu et sous-estimé.
Cette session californienne, paradoxalement emblématique d'un jazz dit "hard bop" plutôt pratiqué à cette époque sur la côte est, pourrait tout aussi bien appartenir à la tradition décontractée du style "West Coast". Mais compte tenu des croisements, des échanges et influences mutuelles, cette opposition tranchée entre un Ouest "cool" et un Est effervescent parait à présent bien artificielle, alors qu'elle suscita de grands débats dans le petit monde de la critique de jazz de l'époque.
Barry Harris quant à lui est natif de Detroit, berceau comme Philadelphie, d'une école de musiciens au style très caractéristique comme Kenny Burrell, Doug Watkins, Louis Hayes, son batteur dans le disque, ainsi que son ami Tommy Flanagan, dont il est toujours resté très proche, humainement et musicalement.
Le reste de la soirée est tout aussi enthousiasmant, tant par le choix des thèmes (un magnifique "Star Eyes", "Moose the Mooche", de Charlie Parker, "Lolita", une composition originale du pianiste) que par
la respiration et l'élégance des improvisations. Ici en liberté, cette section rythmique d'exception, une des plus swinguantes de toute l'histoire du jazz (1) délivre le meilleur d'elle même. Louis Hayes ponctue, pulse sur la grande cymbale, la basse de Sam Jones, tendue, ronde et élastique, ronronne pendant que sous les doigts d'un Barry Harris en état de grâce, naissent de longues lignes souple et sinueuses, comme un chant profond inspiré par ce qu'il nomme lui même "the spirit of be-bop".
Que demander de plus ? Ne passez surtout pas à côté de cette occasion de découvrir le jazz détendu et jubilatoire de trois grands maîtres au sommet de leur art, soudés dans un évident plaisir de jouer ensemble qui ne demande qu'à devenir le nôtre à les écouter.
(1) sans oublier naturellement les deux formidables sections rythmiques qui accompagnèrent Miles Davis dans les années soixante, respectivement Red Garland, Paul Chambers, Philly Joe Jones, et Wynton Kelly, Paul Chambers, Jimmy Cobb.
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