jeudi 24 septembre 2020

Le quintet de Fabien Mary et David Sauzay à l'Osons Jazz Club de Lurs

L’Osons Jazz Club, à Lurs en Haute Provence, samedi 19 septembre. Les portes du club s ‘ouvrent. L’espace a été réaménagé, préservant un espace suffisant entre les tables, mesures sanitaires obligent au prix d’une réduction de moitié de l’effectif du public, qui avait inauguré le nouveau système de réservation en ligne.


Vingt et une heures. Philippe Balin, le maître des lieux prononce quelques mots de bienvenue, se félicitant de la reprise d’activité malgré les difficultés du moment avant que Fabien Mary, David Sauzay, Yves Brouqui, Fabien Marcoz et Stéphane Chandelier ne montent sur la petite scène surélevée. 


Pas d'ostentation, une gestuelle mesurée, mince et élégant dans son costume-cravate, Fabien Mary annonce au micro un programme constitué de thèmes datant pour la plupart des années soixante et dont les amateurs savent à quel point elle furent un âge d'or pour le jazz. En quelques claquements des doigts le tempo est donné avec l’assurance éprouvée du métier. 



Ça démarre vite et fort en ouverture du premier set avec « Quittin’ Time » un thème énergique et typiquement hardbop du saxophoniste Clifford Jordan prestement et interprété dans l’esprit de la version originale. Elle provient de l’album Jazzland JLP 52 où se font entendre Kenny Dorham, à la trompette, Cedar Walton au piano, Wilbur Ware à la basse et Albert « Tootie » Heath à la batterie. 



Pour suivre, « Pedro’s time », thème de Kenny Dorham, est une sorte de blues à la structure modifiée, alternant de façon ingénieuse un rythme chaloupé sur un motif afro cubain et la pulsation des mesures en 4/4. On peut l’écouter sur « Our Thing » (BST84152) le  deuxième album du saxophoniste Joe Henderson pour Blue Note.



« That Ole Devil Called Love » est une chanson écrite en 1944 par Allan Roberts et Doris Fisher. Elle fut interprétée par Billie Holiday et dans une belle reprise par Chet Baker. Fabien Mary y démontre avec une exquise sensibilité toute sa maitrise de la balade, art subtil.



Le quintet enchaîne sur « Stupendous Lee », une des composition du trop méconnu Gigi Gryce, à la saveur si caractéristique pour qui est familier de ses albums Prestige ainsi que des sessions parisiennes du grand Clifford Brown. La encore, élégance, mise en place impeccable et swing au rendez-vous. On la trouve sur l’album Prestige 7085 enregistré en 1955 et intitulé « When Farmer Meets Gryce »



Le premier set se conclut  avec « Capers », composition de Tom McIntosh présente entre autres dans « The Cup Bearers », un album du label Riverside enregistré en 1962 et publié l’année suivante sous la référence RS 9439 par cette autre grande figure trop méconnue de la trompette hardbop qu’est Blue Mitchell.


En introduction du deuxième set on restera dans l’esprit des grandes sessions Riverside avec « Prospecting », un thème de Jimmy Heath dans  l’album « Triple Threat » (RLP 400) où brillent ses deux frères, Percy à la basse et Albert à la batterie, Cedar Walton au piano ainsi que pour compléter la front line dans une formule originale la trompette de Freddie Hubbard et le cor anglais de Julius Watkins.



Avec « Strollin », célèbre thème de Horace Silver souvent joué et sans doute le plus connu dans l’assistance c’est tout le confort d’un tempo médium décontracté, et l’occasion pour David Sauzay de prendre un chorus chaleureux, autant par sa claire articulation que par un timbre  de saxophone d’une belle ampleur à la fin duquel les plus attentifs n’auront pas manqué une  citation du « Good Bait » de Tadd Dameron. On trouvera la version originale sur l’excellent album Blue Note BST 84042 intitulé « Horace-Scope » 



« Lowland Lullaby » est à nouveau une composition de Jimmy Heath, présente sur son troisième album enregistré pour Riverside en 1963 , intitulé « The Quota » sous la référence RLP 372 avec la même formation que « Triple Threat ». On saura  gré à Fabien, David et leurs amis d’avoir rendu ainsi rendu hommage à « Little Bird », ce merveilleux maître du saxophone ténor, improvisateur, compositeur et arrangeur unanimement respecté qui nous quitta en janvier dernier.



« Laura » est une plus belles mélodies dont vinrent s’emparer les jazzmen. Composée en 1945 par David Raskin pour le film éponyme avec Gene Tierney, elle en est le leitmotiv musical. Tous les  plus grands en donnèrent leur version, de celle, sublime, de Charlie Parker à Clifford Brown, Don Byas ou Dexter Gordon. 



David Sauzay nous donne la sienne, moment suspendu d’une belle ampleur sonore et superbement accompagné à la guitare par  Yves Brouqui, expert du jeu en accords à la Wes Montgomery et passionnant en solo tout au long des deux sets.


Fabien Mary annonçe alors  la composition d’un pianiste réputé obscur, quelque part entre Monk et Bud Powell. Herbie Nichols ? Non c’est de Elmo Hope qu’il s’agit dans un thème au profil rythmique singulier, intitulé « Nieta ». Curieusement on n’en connait qu’un arrangement par Elmo Hope sur l’album « Harold In The Land of Jazz » (Contemporary C3550) où la partie de piano n’est pas tenue par ce dernier mais par Carl Perkins. A  l’Osons, le quintet fera son affaire sans encombre d’un thème original et piégeux.


« The Fox » est une autre composition de Kenny Dorham, un morceau de bravoure,  annonce Fabien Mary, ce qui n'est est pas peu dire compte tenu de la virtuosité requise à ce tempo. Pour autant les lignes mélodiques restent d’une exemplaire clarté, étonnamment lisibles et déliées pour Fabien Mary, suivi par un David Sauzay en mode turbo, ébouriffant de technique tout au long  de son solo. Les échanges finaux sont  d’une belle précision entre eux deux et Stéphane Chandelier, percutant et inventif à la batterie. « The Fox » est la quatrième plage de la première face de l’album Blue Note « Trumpeta Toccata » de Kenny Dorham sous la référence BST 84181.




Le deuxième set touche à sa fin. Fabien Mary rappelle que cette année marque le centième anniversaire de naissance de Charlie Parker. Ce sera donc pour conclure avant le rappel « Passport », un blues typiquement bebop enregistré en 1950 


Il est près de minuit et le concert se termine en rappel avec « Saucer Eyes » la composition de Randy Weston dont le premier enregistrement fut effectué par Cecil Payne et Kenny Dorham en 1956 sous le titre « Patterns of Jazz ». Ce très bel album qui parut d’abord sous le label Signal fut réédité sous étiquette Savoy (Savoy MG 12147). 



Il fut un temps où le public de l’Olympia  exultait quand  les Jazz Messengers attaquaient « Are You Real » avec Lee Morgan et Benny Golson dans le grondement de tambours de leur charismatique leader Art Blakey. Ce jazz là était puissant, construit, inspiré et généreux, tout en restant communicatif au profane, plein d’âme pour tout dire. A l’Osons ce soir là il était de retour, avec la formation de Fabien Mary et de David Sauzay, et ses  instrumentistes de haut vol, qui dés les  années quatre-vingt dix avaient fait le pari à contre-courant de lui redonner tout son éclat.



samedi 14 juillet 2018

Le Quintet de Fabien Mary et David Sauzay au Jazz Fola Live Club d'Aix en Provence. Le retour du hard bop flamboyant.

Après avoir accueilli ces derniers mois les formations de Clovis  Nicolas et Dmitry Baevsky, Baptiste Herbin et Marcel Sabiani, Gary Smulyan, Ralph Moore et Olivier Hutman, le Jazz Fola Live Club à la sortie d’Aix en Provence confirme sa réputation d’excellence dans une programmation à la hauteur des meilleurs établissements de la capitale, dans un cadre idéal pour écouter ce jazz moderne devenu classique qui fit les beaux jours d’un âge d’or de la musique improvisée dans années cinquante à soixante. 



Ce style que je qualifierai une fois de plus de flamboyant connaît aujourd’hui, bien que boudé de la plupart des grandes manifestations estivales qui n’ont souvent plus de festival de jazz que le nom, un extraordinaire regain de vitalité de New York à Paris sous l’influence de toute une génération de techniciens hors pair, nourris de la grande tradition des  maîtres du hard-bop qu’ils perpétuent et réactualisent, ennemis de la médiocrité et de l’esbroufe au prix, sauf rares exceptions, je ne cesse de le redire, d’une incroyable désaffection des media, même spécialisés, qui ne font pas grand-chose pour en relayer la renaissance auprès du public.

Formidable soirée donc ce 13 juillet au Fola, en présence du noyau dur du néo hard-bop  français que constitue le tandem Fabien Mary / David Sauzay, membres attitrés de toute une série de formations à géométrie variable, du quintet au big-band dont le magnifique pianiste et arrangeur Laurent Marode est également un des piliers. 

S’il fallait une preuve de l’inspiration puisée aux meilleures sources de ces merveilleux musiciens et du respect dont ils font preuve de l’héritage de leurs maîtres, immenses légendes du jazz que l’histoire a fait d’eux, on en jugera par le répertoire choisi comme tremplin pour d’éblouissantes d’improvisations calées au millimètre et débordantes de lyrisme, d’inventivité et de swing.

« Minor  Mishap » du maître Tommy Flanagan en ouverture, « Strollin » de Horace Silver, « Saucer Eyes » de Randy Weston, deux standards, un « Poinciana » au tempo revisité ainsi que l’avait fait Shelly Manne avec son quintet, comme nous le précisa Fabien, ainsi qu’un délicat et émouvant « When  Sunny Gets  Blue », « Open Sesame » de Freddie Hubbard, de l’album Blue Note éponyme, « Blues on Down » de Benny Golson , le superbe « Lotus blossom » de Kenny Dorham, ainsi que le « Tour de Force » de Dizzy.




En clôture du second set, une première surprise:  Emilie Calvez venue remplacer Laurent Marode au piano démontre tout son talent d’accompagnatrice et de soliste en tempo soutenu sur le célèbre et gershwinien « Strike Up the Band ». Je ne la connaissais pas, ses impros sont fluides et construites, un vrai plaisir autant qu’une belle découverte. 

La contrebasse de  Sébastien Lamine est cédée pour l’avant dernier morceau – et c’est une deuxième surprise – au grand Pierre Boussaguet, figure respectée de l’instrument:  tout le monde ne peut pas avoir été le partenaire de Ray Brown dans un trio  à deux basses avec Dado Maroni. Au piano, d’éloquents chorus à nouveau et un accompagnement idoine par Pablo Campos, un autre partenaire de Fabien Mary, soutenu par la puissante ligne de basse de Boussaguet. 

Quant à David Sauzay dont j'avais découvert le jeu stylé parvenant à concilier à la fois l'élégance et la sobriété d'un Hank Mobley et la virtuosité décoiffante du Coltrane de la première période hard-bop dans l'album de l'octet de Laurent Courthailac « A tribute to Woody Allen»  aux côtés de ces magnifiques improvisateurs au sax alto que sont Dmitry Baevsky et Luigi Grasso, qu'en dire sinon que sa façon de jouer  est un concentré abouti d' influences de tous les maîtres du sax ténor moderne en dehors des précités. Il est de ceux dont les improvisations racontent une histoire, en quelques chorus bien cadrés, qui ne durent pas des heures et où l'essentiel  est dit avec chaleur, puissance et conviction.

Je n’aurai garde pour être complet, outre les lignes et la  solide pulsation prodiguées à la  basse par Sébastien Lamine, d’omettre tout au long de la prestation du quintet, tant son drumming est précis, efficace et percutant dans ses moindres ponctuations, le batteur Stéphane Chandelier dont le style et l’inspiration puisée  quelque part entre Philly Joe et les deux Art –Taylor et Blakey– siéent à merveille en relance et commentaire des propositions mélodiques et rythmiques de la front line. 




Le set trouvera sa conclusion avec  « Salute to the Bandbox », brillant hommage mené d’alerte manière  à Gigi Gryce son compositeur, laissant les heureux spectateurs venus au Fola, dont votre serviteur, ravis et comblés de tant de talent de technique et de swing  au service d’une musique dont il faudrait être sourd , totalement inculte ou conditionné par la grande pauvreté du mainstream ambiant et dominant  pour ne pas l’apprécier comme elle le mérite. 

J'ai eu  le plaisir échanger quelques mots entre les deux sets et à la sortie avec Fabien Mary dont les lignes mélodiques souples et sinueuses sont pour moi un véritable enchantement, pour l’impression qu’il me donne à chaque fois en fermant les yeux d’entendre, comme s’ils étaient encore là, Fats Navarro, Dizzy Gillespie, Clifford Brown, Lee Morgan et Kenny Dorham.  

Je me permets de renouveler ici à son endroit mon admiration et mes remerciements de porter si haut ce jazz-là, que j’aime entre toutes ses formes, pour en avoir saisi il y a bien longtemps  en un éclair toute la puissance expressive et la beauté dans  l’émission de Frank Ténot « Pour ceux qui aiment le jazz », en écoutant un soir  s’envoler dans la nuit aux côtés de Charlie Parker la trompette d’un certain Miles Davis.

samedi 23 décembre 2017

Eric Alexander Quartet en concert à Saint-Quentin

Avec la venue du quartet d'Eric Alexander avec Harold Mabern  en Novembre dernier pour un mémorable concert au Conservatoire de Saint-Quentin, l'association Jazz Aisne Co vient de clore en beauté plusieurs saisons marquées par une programmation d'une rare qualité.

Qu'on en juge, Eric LeLann, Pascal Bivalsky, Sara Lazarus, Patrice Galas, René Urtreger, le quintet de Fabien Mary, La formation "Voix Croisées" avec Airelle Besson, Celine Bonacina et Didier Levallet, le Quartet de Pierre Boussaguet avec Nicolas Folmer, le trio de Philippe Duchemin avec Christophe et Philippe Le Van, Denis Colin, Frank Tortillier, François Corneloup, et tout récemment Géraldine Laurent, autant de valeurs confirmées ou d'étoiles montante sur la scène du jazz en France y ont été invitées. N'oublions pas non plus la venue exceptionnelle de l'américain Lew Tabackin en 2014.

En 2018 sont annoncés pour la deuxième fois le formidable quintet,  devenu octet, de Fabien Mary, ainsi que Camille Bertault en novembre, ce dont le Coeur qui Jazze se réjouit particulièrement à l'avance. A des dates plus rapprochées, toujours dans l'auditorium du Conservatoire de Saint-Quentin, deux concerts sont à ne pas manquer, le quartet du bassiste Nicola Sabato et du vibraphoniste Jacques Di Constanzo le 21 janvier 2018  ainsi que l'Open Book Quartet  de Ricardo Del Fra avec Pierrick Pedron le 25 mars.


Après celui du concert de Géraldine Laurent, voici  un nouveau compte-rendu d'une soirée qui devrait rester longtemps dans les esprits de tous ceux qui eurent la chance d'y assister. Avec Eric Alexander, "Number One" tel que le présenta au public le pianiste Harold Mabern, légende vivante du jazz moderne à lui tout seul pour les connaisseurs, on fêta ce soir là le retour à un jazz roboratif, joué "droit" (straight ahead), puissant et gorgé de swing, dans la grande tradition retrouvée du hard bop à ses heures les plus flamboyantes. Mais je laisse mon grand ami Denis Lefèvre qui en fut l'organisateur le présentateur et le témoin nous en dire un peu plus.


Le 26 novembre 2017 fera date dans les mémoires des membres et amis de l’association Jazz Aisne Co. Celle-ci avait en effet invité le quartet du saxophoniste Eric Alexander. Tiens, des jazzmen américains de passage à Saint-Quentin, voilà qui n’est pas si courant : on les croise plutôt dans les festivals de renom, dans les cabarets parisiens, en tournée dans les grandes villes du monde entier. Qui plus est, Eric Alexander n’est pas n’importe qui car, si la plupart des spectateurs étaient venus pour une fois en plus grand nombre que d’habitude pour découvrir un énième inconnu, la poignée d’amateurs de jazz bien informés ne s’y étaient pas trompés : ils voulaient écouter LE "number one" au saxophone-ténor du moment, comme l’a souligné avec autorité, conviction et à juste titre le pianiste Harold Mabern à la fin du deuxième morceau. Eric Alexander se présentait en compagnie d’une rythmique associant la génération des créateurs (le pianiste de 81 ans est l’un des rares musiciens encore en activité à avoir joué avec nombre de très grands jazzmen dès le début des années 50) à celle des continuateurs, tels Darryl Hall (b) et Bernd Reiter (d).

Ce concert dont les premiers préparatifs remontent à mars 2015, s’annonçait donc bien comme l’événement musical d’une saison 2017 pourtant déjà riche. Mais avant de parler purement musique, il convient de souligner l’extrême professionnalisme des quatre musiciens qui ont offert un très grand spectacle après six heures de voiture et une nuit de sommeil plutôt courte: en tournée européenne depuis plusieurs semaines jusqu’au 6 décembre, ils venaient en effet de Stuttgart. Si vous vouliez les revoir, il eût fallu vous rendre à Paderborn, Luzern, Nürnberg, Barcelone...  Autant dire qu’avec eux, nous ne sommes plus du tout dans l’univers du show-biz, mais dans celui de l’art, tout simplement.


La première impression laissée dès leur apparition sur scène, celle qui saute aux yeux, c’est l’élégance. Ils sont tous les quatre en costume, impeccables sans être raides, témoignant du même respect pour leur auditoire que les musiciens que nous voyions dans les années 60 et suivantes jusqu’en 1968, tels les Jazz Messengers d’Art Blakey toujours tirés à quatre épingles et fidèles à cette exigence, autant celle de la tenue vestimentaire que celle de l’interprétation musicale. 



Certes, la cravate jaune d’Eric Alexander ne passa pas inaperçue, mais dès les premières notes du concert, le public comprit très vite que ce saxophoniste-là n’était pas simplement un "très bon musicien". Il avait sur scène le plus fidèle et le plus doué des disciples des grands noms du jazz nord-américain. Si tout au long du concert, il rappellera sans les copier ses illustres prédécesseurs tels Hank Mobley, Jimmy Heath ou John Coltrane - notamment aussi parce que la main gauche de Harold Mabern très percussive se rapproche parfois de celle de McCoy Tyner - comment ne pas penser aussi au Johnny Griffin des sessions avec Monk pour l’énergie débordante et pourtant tellement maîtrisée de son jeu, notamment sur "Bluesky for Vonsky", un bon gros blues écrit par le pianiste, introduit sans concession comme au bon vieux temps, sur lequel Eric tout à son inspiration ne prit pas moins de sept chorus sans tomber dans le pêché mignon de la phrase répétée.



Harold Mabern, quant à lui, se moque pas mal de ces considérations esthétiques. Répéter plusieurs fois le même trait, la même phrase ne le gêne pas, il s’en amuse au contraire, il joue, ne fait pas de quartier, percute et percute encore avec une fougue de jeune homme toutes les touches d’un piano qui n’avait probablement pas connu pareil traitement depuis un bail, n’hésitant pas de temps en temps à glisser un clin d’œil à Ray Charles, notamment pendant le chorus de contrebasse. Il faut dire qu’à son âge, on n’a plus rien à prouver…



Outre l’élégance, le public remarqua très vite l’homogénéité du groupe. Rien d’étonnant à cela puisqu’il est en tournée européenne, ce qui veut dire qu’il se produit plusieurs fois chaque semaine. Les quatre musiciens se connaissent par cœur et peuvent donner ainsi libre cours à leur envie du moment sans jamais vraiment surprendre leurs partenaires.



Mais autre chose s’impose chez Eric Alexander, sa permanente volonté de s’approprier tous les répertoires et de les assujettir à son style . Et c’est aussi en cela que l’on discerne la marque des grands maîtres. On a eu droit à un vrai concert bebop, concentré de liberté et de rigueur technique au service d’une inspiration intarissable. "How Insensitive", de A-C-Jobim fut vite déshabillée de sa robe de bossa-nova bien trop courte. C’est par ce thème que démarra le concert. Après une assez longue introduction du pianiste qui ne laissait rien augurer de ce qui allait suivre, le maître laissa planer le doute quelques mesures encore pour imprimer d’entrée de jeu un tempo medium soutenu et transformer la bossa-nova en un thème complètement bebop.


A y regarder de près, le programme concocté par ce saxophoniste de génie lui fut dicté non par une hypothétique nostalgie des années de rêve auxquelles je faisais allusion plus haut, mais par la fidélité, celle qu’il voue aux grands compositeurs (Van Heusen, Youmans, le Duke), celle aussi qu’il voue à son pianiste qui, en l’occurrence, est bien le trait d’union entre hier et aujourd’hui.

La seule véritable surprise fut la présence au programme de "She’s out of my life", magnifique ballade créée par Tom Bahler et reprise en son temps par Mickael Jackson. L’interprétation qu’en donna Eric Alexander avec son seul pianiste comme accompagnateur fut toute de délicatesse et de fluidité retenue, soutenue par un piano à la fois doucement percussif et plus lyrique qu’au début du concert.

Enfin, et s’il fallait retenir encore autre chose de ce fabuleux concert, c’est assurément l’aisance avec laquelle le saxophoniste accomplit son œuvre et promène ses doigts sur l’instrument, tant sur les ballades ("I thought about you") que sur les tempi rapide comme sur cette ébouriffante version de "I know that you know" prise du départ à toute vitesse, voire aussi - ce fut le cadeau de la fin – sur un rythme funky avec "Eddie Harris ", une composition d’Eric Alexander.

Ce souci du son parfait, de la rigueur, du soin, cette discipline visible à laquelle le saxophoniste s’astreint et qui n’éteint en rien la joie de jouer, nous les retrouvons chez ses accompagnateurs, notamment chez le contrebassiste Darryl Hall qui nous a gratifiés d’interventions bien senties, elles aussi soignées et d’une grande beauté. Sa vélocité, sa sensibilité discrète auront touché l’auditoire qui ne connaissait pas le musicien, mais qui sut lui rendre hommage par ses applaudissements soutenus. 



Il n’étonnera personne d’apprendre que Darryl Hall compte aujourd’hui parmi les contrebassistes les plus demandés. Quant à Bernd Reiter, le seul européen du groupe, ce fut là encore une sacrée découverte pour le public. Il dispose d’une excellente technique bien sûr, mais prend toute sa part dans l’homogénéité du groupe en sachant se mettre lui aussi à l’écoute de ses partenaires. Quelques 4/4 bienvenus et surtout impeccables auront révélé les qualités du batteur, lui aussi appelé à connaître une grande carrière.



Après le concert, nous nous sommes tous (ou presque) retrouvés autour de la table. Eric était toujours en cravate, tout aussi enthousiaste avec nous que sur scène. Le lendemain matin, les quatre visiteurs d’un jour sont repartis comme ils étaient venus, en voiture, presque incognito. Notre combat, qui est celui de l’art pour l’art continue…




Par chance le concert a pu être filmé  et trois extraits mis en ligne sur YouTube avec l'autorisation d'Eric Alexander:





Prise de vue Emmanuel Bouvigne

samedi 14 octobre 2017

Géraldine Laurent en concert à Saint-Quentin

Le Coeur qui Jazz cède sa  plume, ou plus exactement son clavier à son ami de toujours, Denis Lefèvre (nos premiers émois jazzistiques, Charlie Parker, Coltrane, Rollins, Monk, Hank Mobley, les Jazz Messengers, Miles Davis etc... remontent à la classe de seconde au Lycée Henri Martin à Saint Quentin en 1965)  pour ce compte-rendu du concert de Géraldine Laurent, organisé par l'Association JazzAisneCo qu'il préside et qui eut lieu à Saint Quentin le 23 septembre 2017.



Un vrai grand moment de musique excellente, soignée, posée, volubile parfois, en un mot comme en cent, cohérente. Du jazz car c'en était, n'en déplaise à ceux qui ne voient dans le modernisme ambiant que matière à enfermer le jazz dans un trop étroit cercueil. 

Excellente car Géraldine fut, comme ses trois comparses, dans l'excellence. Pas d'emphase, foin des inutilités, pas d'ostentation. Un discours, le même qu'avant, mais plus abouti, plus complet, parfois aussi plus osé. 



Soignée car Géraldine l'est toujours avec ce qu'elle propose à entendre, avec ce souci du détail que je retrouve souvent lorsque j'assiste à des concerts de quatuors à cordes.

Posée car le recours au silence n'est pas rare. Il vient s'imposer à pas feutrés entre deux expositions au milieu d'une suite, car le groupe avait choisi d'interpréter les morceaux de l'album "At Work" sous la forme de plusieurs suites. 



En réponse à ces moments silencieux répondait le silence total du public, comme si les auditeurs particulièrement attentifs rejoignaient les musiciens dans une simple et respectueuse communion.

Volubile aussi, mais comment pourrait-il en être autrement avec ce phénomène de l'alto et avec Paul LAY au piano, tantôt vif et disert, voire emporté, tantôt mesuré et presque méditatif.




Cohérente enfin, car comment ne pas souligner ce qui a particulièrement plu au public, à savoir cette cohérence dans l'interprétation d'un quartet dans lequel personne ne marche sur les pieds du voisin ou tire une hypothétique couverture à soi. 

Un mot tout de même sur les deux autres musiciens. Yoni ZELNIK nous a séduits par sa volonté affichée de mettre d’abord et avant tout la rondeur de la note, la pureté du son à l’honneur plutôt que d’utiliser la vélocité d’exécution à dessein d’ébahir les foules.




Quelle sonorité pleine et entourée parfois, là encore, de silences de bon aloi !!
On retrouve cette finesse, cette simplicité aussi dans le jeu du batteur Donald KONTOMANOU,  Aucun effet de scène, tout est dans la délicatesse, la subtilité, l’écoute des partenaires, un peu à la manière du regretté Jacques MAHIEUX, et le tout avec une réelle jovialité, un sourire à la FERNANDEL.




En résumé, si le quartet de Géraldine Laurent a pris ce titre « At Work », autrement dit, « en construction », « au travail », le rendu d’hier soir fut d’une excellente facture, très abouti, pas très loin de cette perfection qui n’existe pas, mais que recherchent parfois les musiciens et que ne fut pas loin d’atteindre le quartet de Géraldine LAURENT.

Denis Lefèvre, fondateur et président de l'Association JazzAisneCo



Le 26 Novembre prochain, JazzAisneCo organise un événement tout à fait exceptionnel, la venue du formidable saxophoniste Eric Alexander en quartet avec le batteur autrichien Bernd Reiter et au piano une légende vivante du jazz, le grand Harold Mabern.


mardi 15 août 2017

Pour l'amour des grosses machines à swing...

Et pour le grand éclair 
D’un orchestre d’enfer
Qui éclate en plein ciel
Aussi chaud qu’un soleil
Moi j’ai le Cœur qui Jazze...

Ce billet est dédié à mon ami Roland Seiller qui nous a quittés il y a tout juste un an et avec lequel  j’ai partagé  tant de fabuleuses expériences de jazz en direct et en particulier lors du Festival de Big Bands de Pertuis auquel nous nous faisions une joie d’assister tous les ans au mois d’août. 



Le Big Band de Pertuis avec Alice Martinez

Nous y avons écouté ensemble tout ce qui se fait de mieux dans le genre sur la scène du jazz français, dont Gérard Badini, Philippe Laudet, Michel Pastre, Laurent Mignard et jusqu’au formidable Brussels Jazz Orchestra avec Philippe Catherine.


Cassiopée/Sagittarius A
par le Jazz Odyssey de Philippe Laudet

Le titre de mon  dernier billet du Cœur qui Jazze aura pu surprendre. 

Qualifier un concert de jazz en grande formation   d’ « expérience  existentielle sans égale »,  ne serait-ce pas un peu forcer le trait et surévaluer un style de musique devenu désuet, somme toute mineur et en tout cas minoritaire à l’heure des playlists Spotify d’une banalité et d’un conformisme effroyables ? 

Le Savoy Ballroom, temple de la danse 
et du Lindy Hop dans les années 20

Il est un fait que ces grosses machines, apparues dans un contexte de danse et de divertissement  dans une Amérique se relevant du traumatisme de deux guerres, ne pourront  jamais tout à fait se soustraire pour les ignorants et les sourds d'oreille au soupçon de facilité et  de futilité sinon de commercialisme, dans des relations incestueuses avec ce que l’on nomme là-bas l’entertainment et ici la variété et le showbiz.


Count Basie et Frank Sinatra

Qui serait pourtant assez stupide aujourd’hui pour affirmer  que le jazz  en grande formation ne serait que la version diluée et abâtardie,  pour tout dire commerciale,  de celle, noble et jouissant d’un certificat d’authenticité d’un jazz en petite formation  à l'instrumentation resserrée ? Il en représente au contraire la quintessence, pour reprendre le titre d’une composition de ce maître du genre qu’est Quincy Jones.

Quincy Jones Big Band

Au même  titre que le prestigieux orchestre symphonique se situe tout en haut de la hiérarchie des configurations instrumentales en musique classique,  même s’il en existe de plus élitistes, telles le  trio pour cordes et piano ou le quatuor à cordes,  le grand orchestre de jazz constitue le fleuron emblématique de ce qu’il est à présent convenu d’appeler la grande musique classique nord-américaine.

Jimmy Lunceford: Rythm is Our Business

Ici,  les authentiques génies qui en marquèrent l’histoire s’appellent Jimmy Lunceford, Duke Ellington, Count Basie,  et plus près de nous Quincy Jones et Gil Evans pour n’en citer que quelques-uns. Le travail de l’écriture y est prépondérant et ce sont ces hommes de l’ombre, les arrangeurs tels Billy Strayhorn pour le Duke, Benny Carter, Neal Hefti et Sammy Nestico pour le Count, Marty Paich ou Bill Holman pour eux-mêmes, qui détiennent le pouvoir d’en déployer  les fastes sonores et les couleurs chatoyantes. 


Count Basie accompagne Frank Sinatra

Il est notoire qu’avant que la vague pop-rock ne déferle sur l’Amérique et le monde entier, la musique des Big Bands, venue des Ballrooms où elle avait pour fonction de divertir et faire danser, s’entendait partout. Elle  était au spectacle, au cinéma, à Hollywood, à Broadway. Elle fut même enrôlée pour soutenir le moral des troupes constituant pour nombre de musiciens un important sinon exclusif débouché. 

Depuis elle cristallise tout un imaginaire  où se retrouveraient péle mêle les robes longues des danseuses dans les grands hôtels, au bras d’hommes en smoking, les ambiances urbaines nocturnes des films où se poursuivent détectives et criminels, les shows pailletés des casinos de Las Vegas, les crooners dans les projecteurs à  la Frank Sinatra.  Quoi de plus emblématique à cet égard que le final de Liza Minelli dans le New York, New York de Martin  Scorsese ? 

Naked City Theme et Street of Dreams:
arrangement de Nelson Riddle

Comme l’a rappelé François Laudet sur la scène du Festival de Big Bands de Pertuis entre deux morceaux du répertoire de sa formation, il fut un temps aujourd'hui révolu où l’orchestre de Buddy Rich se produisait régulièrement dans les émissions de la télévision américaine. Dans les années soixante, une partie  notoire de la crème du jazz français de l’époque pouvait  se retrouver dans les rangs de l’orchestre de Pierre Porte chargé d’accompagner le show dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier.


Buddy Rich dans le Johnny Carson's Show

On se doute fort bien qu’assurer la pérennité du genre à notre époque ne doit pas être une mince affaire sur le plan économique, sans même parler de la somme de travail, de répétitions et d’organisation pesant sur le leader et ses musiciens. 

Heureusement et pour le plus grand bonheur de ceux qui comme moi l’apprécient particulièrement, la tradition des grandes machines à swing perdure et sait rencontrer son public. On se souvient de  Claude Bolling ou plus récemment de Michel Leeb qui, profitant de  sa notoriété d’humoriste contribua à populariser le genre, un peu comme le fit au cinéma Jerry Lewis avec son  désopilant playback sur le « Blues in Hoss Flat »  de Count Basie.

Jerry Lewis: Blues in Hoss Flat

On n’imaginerait pas aujourd’hui, à la télévision, la prestation de telle ou telle icône  de la chanson française sans que ne lui soit déroulé, pour l’accompagner en direct, le luxueux tapis d’une grande formation. Ceci est même, pour la plupart d'entre elles, devenu un brevet de qualité et de sophistication.

Si je  devais en  faire l’inventaire, mes souvenirs les plus marquants d’émotions musicales auraient toujours quelque chose à voir avec les grands orchestres, que ce soit celui de Duke Ellington  avec ses chaussettes violettes attaquant « Take The A Train » à l’auditorium de la MJC de Grenoble, celui du Kenny Clarke Francy Boland Big Band à Chaillot ou bien le fabuleux Thad Jones Mel Lewis Big Band à la Maison de la Radio,  au moment où toute la section des saxes, emmenée par Jérôme Richardson, se lève et démarre le somptueux unisson de « Groove Merchant ». 


Thad Jones Mel Lewis Big Band:
The Groove Merchant

Mon ami Roland aurait eu, j’en suis sûr, un large sourire en écoutant cette année le Big Band de François Laudet. Son fils William de onze ans, ainsi que sa sœur Marie, avaient le même à la fin du concert. À l’heure où leurs potes écoutent du mauvais rap, ils viennent de découvrir Buddy Rich, dont ils ont regardé en boucle sur YouTube les vidéos dès le lendemain. William a même  dit « il n'est pas humain  pour jouer aussi vite ». À la rentrée il commence la batterie et dira à sa prof en lui montrant le CD dédicacé par  François Laudet,  « C'est comme ça que je veux jouer » .

dimanche 13 août 2017

De l’écoute d’un Big Band en direct considérée comme une expérience existentielle sans égale...

11 août 2017, 21 h 30, enclos de la Charité à Pertuis. Sur la scène le Big Band de François Laudet attaque le  premier arrangement de la soirée. Il s’agit de «Wind Machine » ,  une composition  vive et puissante de Sammy Nestico pour Count Basie que Buddy Rich avait inscrit au répertoire de son orchestre.



On sait dès les premières mesures de l’établissement du tempo que ce sera du lourd quand toutes les sections exposent le thème et que  commencent  à rouler la caisse claire, chanter les toms, exploser le son profond de la grosse caisse et fuser les éclairs des cymbales. 



Ça claque, ça pétarade, ça vrombit, les «pains » distribués par Francois Laudet derrière sa magnifique Slingerland blanche ponctuent l’ensemble avec une diabolique précision. Sagement assis dans les rangs  de leurs sections les solistes quittent leur siège l’un après l’autre pour un court solo à l’avant-scène, alors que tout en  haut se lèvent les trombones pour un passage à sourdine mi bouchée. 

C’est curieux comme le lexique utilisé pour parler d’un grand orchestre de jazz peut  emprunter aussi bien   à celui des machines, que ce soit dans le domaine de l’automobile ou de l’aviation, dont on notera au passage que François Laudet est féru,  que dans celui du monde animal, le même aimant tout autant que l’auteur de ces lignes à s’entourer de chats. 

Ne dit-on pas en effet que de ces grosses  machines  à swing qu’elles sont bien huilées, qu’elles tournent comme un moteur de Lamborghini ou le Rolls-Royce Merlin d’un Spitfire de la seconde guerre mondiale, mais aussi qu’elles ronronnent, feulent et rugissent aussi bien qu’un chat ou un tigre qu’on réveillerait soudain ? 

Il y a dans ces métaphores comme un mélange contradictoire en apparence de notions de souplesse féline décontractée, de puissance et  et de précision quasi militaire dans la discipline des sections.


Car cette musique au cordeau,  figurez-vous, en dépit où plutôt à cause de la rigueur qu’elle impose à ceux qui s’en font les servants est l’une des plus sensuelle et jouissive qui soient, ajoutant à la satisfaction procurée comme à la parade  par un ordonnancement bien réglé  la fascination d’observer le corps frémissant et musculeux d’une panthère s’apprêtant à bondir sur la plus haute  branche. 

C’est ce qui se passe au début du second morceau, « Basically Blues » sur un confortable tempo médium élastique à la Basie, avant que ne se déchaînent les riffs  bluesy des sections de  cuivres et de saxophones juste après une entrée en matière pleine de swing du piano aérien de Carine  Bonnefoy, formidable interprète et compositrice que j’ai le plaisir et la surprise de retrouver là.

Revenons à présent pour un compte rendu plus traditionnel à l’essentiel de ce qu'il convient de souligner pour donner à ceux qui n’y étaient pas une idée de ce concert au plus haut point  mémorable en dépit du petit vent un peu frais soufflant à  Pertuis ce soir sur les chemises exotiques des musiciens.



Ce Big Band est une réédition de la grande formation une première fois réunie en 1992 par François Laudet en hommage à  son héros et mentor, ce monstre de l’instrument que fut Buddy Rich à l’occasion pour cette fois de ce qui eût été son  centième anniversaire. Le « personnel » comme on dit, de l’aveu même du « patron » s’en est trouvé rajeuni et féminisé ce qui ne peut que ravir l’infatigable défenseur que je suis de la cause d’un au jazz au féminin .




C'est ainsi qu'à la droite  du pupitre des saxes, j’entends pour la première fois en direct la formidable saxophoniste baryton Tullia Morand. La voici marcher à son tour avec  Céline Bonacina sur les pas de Pepper Adams et autres maîtres de ce superbe  instrument au registre si profond et si chaleureux.

Côté coulisses, Judy Weckstein  vient en renfort de la section au puissant trombone basse.

En compagnie  d’anciens  gentiment charriés par le boss, dont le très excellent Thomas Savy au sax ténor, Cédric Caillaud à la contrebasse et Nicolas Peslier à la guitare, on découvre une nouvelle génération de jeunes improvisateurs  et improvisatrices s’abreuvant manifestement  aux meilleures sources. 

Le saxophoniste alto  Esaie Cid veut de Barcelone atteste s’il en était besoin de la toute particulière vitalité du jazz en Catalogne  depuis l’époque du grand Tete Montoliu.

Pour n'oublier personne, voici la liste complète trouvée sur la page de François Laudet des musiciens du FLBB avec les liens sur leurs sites respectifs :

Carine Bonnefoy, Nicolas Peslier, Cédric Caillaud, Thomas Savy, Xavier Quérou, Cid Esaie, Matthieu Vernhes, Tullia Musique (Morrand), Martin Berlugue, Marc Roger, Martine Degioanni, Judith Weckstein, Sophie Keledjian, Michel Feugere, Julien Ecrepont et Malo Mdg (Mazurié)



Quant au  répertoire, il reprend des arrangements classiques  de Buddy Rich déjà présents dans les quelques albums devenus rares du François Laudet Big Band principalement en première  partie « Wind Machine » , déjà cité, de Sammy Nestico, «  Basically Blues » , « Chicago » avec en solo  Nicolas Peslier  à la guitare et Martin Berlugue au trombone. 

Pour la suite et la  fin de l’enthousiasmante  prestation pertuisienne du  FLBB nous sont proposés  des arrangements plus tardifs de l’orchestre de Buddy Rich, de la période 70-80 peu avant sa disparition en 1987, dont le « Groovin’ Hard » de Don Menza, le fameux «  Love  For Sale »  de l’album « Big Swing Face », « Away we go », le « Machine » de Sam Harris, « Party Time » du grand arrangeur et saxophoniste  Bob Mintzer, et juste après un bel arrangement de Bill Holman avec deux flûtes, le « Hoe Down » d’Oliver Nelson et pour finir  en rappel et en beauté  un coruscant et jubilatoire «  Sister Sadie », composition bien connue de Horace Silver. 


Je me souviens comme si c’était hier  du véritable  choc que fut l’occasion d’entendre pour la première fois en direct au Festival d’Antibes Juan les Pins le Big Band de Count Basie. L’orchestre était là au grand complet sur la scène de la Pinède Gould quand éclata sous les étoiles le Whirly Bird de Neal Hefti, propulsé par les « pêches » faramineuses de son batteur Harold Jones. Je me souviens à jamais du somptueux « Splanky » avec le saxophone d’Eddie Lockjaw Davis à la sonorité tout à la fois rauque et suave,  s’élevant  au dessus du lancinant balancement du riff principal et faisant lentement monter la tension jusqu’à l’explosion finale des cuivres et de la batterie. 




Jubilation de la pulsation, allégresse de se  sentir battre le coeur à l'unisson  de la section rythmique, euphorie de l’instant et de se sentir en vie, c’est très précisément là l’expérience existentielle revitalisante et à nulle autre pareille d’écouter  en direct une grande formation de Jazz. Le Festival de Big Bands de Pertuis dont s’annonce la trentième édition reste un des rares endroits au monde où comme ce soir avec le Francois Laudet Big Band s’offre à profusion ce privilège.