dimanche 13 août 2017

De l’écoute d’un Big Band en direct considérée comme une expérience existentielle sans égale...

11 août 2017, 21 h 30, enclos de la Charité à Pertuis. Sur la scène le Big Band de François Laudet attaque le  premier arrangement de la soirée. Il s’agit de «Wind Machine » ,  une composition  vive et puissante de Sammy Nestico pour Count Basie que Buddy Rich avait inscrit au répertoire de son orchestre.



On sait dès les premières mesures de l’établissement du tempo que ce sera du lourd quand toutes les sections exposent le thème et que  commencent  à rouler la caisse claire, chanter les toms, exploser le son profond de la grosse caisse et fuser les éclairs des cymbales. 



Ça claque, ça pétarade, ça vrombit, les «pains » distribués par Francois Laudet derrière sa magnifique Slingerland blanche ponctuent l’ensemble avec une diabolique précision. Sagement assis dans les rangs  de leurs sections les solistes quittent leur siège l’un après l’autre pour un court solo à l’avant-scène, alors que tout en  haut se lèvent les trombones pour un passage à sourdine mi bouchée. 

C’est curieux comme le lexique utilisé pour parler d’un grand orchestre de jazz peut  emprunter aussi bien   à celui des machines, que ce soit dans le domaine de l’automobile ou de l’aviation, dont on notera au passage que François Laudet est féru,  que dans celui du monde animal, le même aimant tout autant que l’auteur de ces lignes à s’entourer de chats. 

Ne dit-on pas en effet que de ces grosses  machines  à swing qu’elles sont bien huilées, qu’elles tournent comme un moteur de Lamborghini ou le Rolls-Royce Merlin d’un Spitfire de la seconde guerre mondiale, mais aussi qu’elles ronronnent, feulent et rugissent aussi bien qu’un chat ou un tigre qu’on réveillerait soudain ? 

Il y a dans ces métaphores comme un mélange contradictoire en apparence de notions de souplesse féline décontractée, de puissance et  et de précision quasi militaire dans la discipline des sections.


Car cette musique au cordeau,  figurez-vous, en dépit où plutôt à cause de la rigueur qu’elle impose à ceux qui s’en font les servants est l’une des plus sensuelle et jouissive qui soient, ajoutant à la satisfaction procurée comme à la parade  par un ordonnancement bien réglé  la fascination d’observer le corps frémissant et musculeux d’une panthère s’apprêtant à bondir sur la plus haute  branche. 

C’est ce qui se passe au début du second morceau, « Basically Blues » sur un confortable tempo médium élastique à la Basie, avant que ne se déchaînent les riffs  bluesy des sections de  cuivres et de saxophones juste après une entrée en matière pleine de swing du piano aérien de Carine  Bonnefoy, formidable interprète et compositrice que j’ai le plaisir et la surprise de retrouver là.

Revenons à présent pour un compte rendu plus traditionnel à l’essentiel de ce qu'il convient de souligner pour donner à ceux qui n’y étaient pas une idée de ce concert au plus haut point  mémorable en dépit du petit vent un peu frais soufflant à  Pertuis ce soir sur les chemises exotiques des musiciens.



Ce Big Band est une réédition de la grande formation une première fois réunie en 1992 par François Laudet en hommage à  son héros et mentor, ce monstre de l’instrument que fut Buddy Rich à l’occasion pour cette fois de ce qui eût été son  centième anniversaire. Le « personnel » comme on dit, de l’aveu même du « patron » s’en est trouvé rajeuni et féminisé ce qui ne peut que ravir l’infatigable défenseur que je suis de la cause d’un au jazz au féminin .




C'est ainsi qu'à la droite  du pupitre des saxes, j’entends pour la première fois en direct la formidable saxophoniste baryton Tullia Morand. La voici marcher à son tour avec  Céline Bonacina sur les pas de Pepper Adams et autres maîtres de ce superbe  instrument au registre si profond et si chaleureux.

Côté coulisses, Judy Weckstein  vient en renfort de la section au puissant trombone basse.

En compagnie  d’anciens  gentiment charriés par le boss, dont le très excellent Thomas Savy au sax ténor, Cédric Caillaud à la contrebasse et Nicolas Peslier à la guitare, on découvre une nouvelle génération de jeunes improvisateurs  et improvisatrices s’abreuvant manifestement  aux meilleures sources. 

Le saxophoniste alto  Esaie Cid veut de Barcelone atteste s’il en était besoin de la toute particulière vitalité du jazz en Catalogne  depuis l’époque du grand Tete Montoliu.

Pour n'oublier personne, voici la liste complète trouvée sur la page de François Laudet des musiciens du FLBB avec les liens sur leurs sites respectifs :

Carine Bonnefoy, Nicolas Peslier, Cédric Caillaud, Thomas Savy, Xavier Quérou, Cid Esaie, Matthieu Vernhes, Tullia Musique (Morrand), Martin Berlugue, Marc Roger, Martine Degioanni, Judith Weckstein, Sophie Keledjian, Michel Feugere, Julien Ecrepont et Malo Mdg (Mazurié)



Quant au  répertoire, il reprend des arrangements classiques  de Buddy Rich déjà présents dans les quelques albums devenus rares du François Laudet Big Band principalement en première  partie « Wind Machine » , déjà cité, de Sammy Nestico, «  Basically Blues » , « Chicago » avec en solo  Nicolas Peslier  à la guitare et Martin Berlugue au trombone. 

Pour la suite et la  fin de l’enthousiasmante  prestation pertuisienne du  FLBB nous sont proposés  des arrangements plus tardifs de l’orchestre de Buddy Rich, de la période 70-80 peu avant sa disparition en 1987, dont le « Groovin’ Hard » de Don Menza, le fameux «  Love  For Sale »  de l’album « Big Swing Face », « Away we go », le « Machine » de Sam Harris, « Party Time » du grand arrangeur et saxophoniste  Bob Mintzer, et juste après un bel arrangement de Bill Holman avec deux flûtes, le « Hoe Down » d’Oliver Nelson et pour finir  en rappel et en beauté  un coruscant et jubilatoire «  Sister Sadie », composition bien connue de Horace Silver. 


Je me souviens comme si c’était hier  du véritable  choc que fut l’occasion d’entendre pour la première fois en direct au Festival d’Antibes Juan les Pins le Big Band de Count Basie. L’orchestre était là au grand complet sur la scène de la Pinède Gould quand éclata sous les étoiles le Whirly Bird de Neal Hefti, propulsé par les « pêches » faramineuses de son batteur Harold Jones. Je me souviens à jamais du somptueux « Splanky » avec le saxophone d’Eddie Lockjaw Davis à la sonorité tout à la fois rauque et suave,  s’élevant  au dessus du lancinant balancement du riff principal et faisant lentement monter la tension jusqu’à l’explosion finale des cuivres et de la batterie. 




Jubilation de la pulsation, allégresse de se  sentir battre le coeur à l'unisson  de la section rythmique, euphorie de l’instant et de se sentir en vie, c’est très précisément là l’expérience existentielle revitalisante et à nulle autre pareille d’écouter  en direct une grande formation de Jazz. Le Festival de Big Bands de Pertuis dont s’annonce la trentième édition reste un des rares endroits au monde où comme ce soir avec le Francois Laudet Big Band s’offre à profusion ce privilège.

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