mardi 17 septembre 2013

The Good Feeling: le making of...

Dans cette vidéo, Christian McBride explique la genèse de son disque en big band, "The Good Feeling" ainsi que ses débuts dans l'écriture d'arrangements après que Wynton Marsalis lui eût demandé en 1985 d'écrire une partition pour son Lincoln Center Jazz Orchestra.

"J'ai toujours écouté ces enregistrements de big bands, Ellington, Basie, Thad Jones-Mel Lewis et même les petits ensembles comme les Jazz Messengers d'Art Blakey. J'essayais de transcrire les parties de cuivres, mais  le premier enregistrement que j'ai écouté et qui ait réellement marqué mon imagination en ce qui concerne l'art de l'arrangement été "The Blues and the Abstract Truth" d' Oliver Nelson."





samedi 14 septembre 2013

Quatre disques de Christian McBride...

Christian McBride a le physique opulent du son de sa contrebasse, ample et généreux. Il est l'héritier des  bassistes à la ligne puissante et imperturbable, les Doug Watkins, Paul Chambers, Wilbur Ware, et Ray Brown bien sûr, avec lequel il avait formé le mémorable et impressionnant Superbass, une formation de trois contrebasses, en compagnie de John Clayton. (Ici dans "Blue Monk" enregistré en 1997 à Cologne avec le big band de la WDR)




"Kind of Brown" donne à entendre un jazz mainstream d'excellente facture,  qui n'oublie jamais de swinguer. C'est le genre de choses qu'on peut entendre jour et nuit sur wbgo.org, radio jazz basée dans le New Jersey à Newark, l'une des meilleures sur internet avec "The bay area jazz station", la californienne kcsm.org à San Mateo. L'esprit est celui  des sessions "Blue Note" de la fin des années soixante. La couleur donnée par le vibraphone de Warren Wolf fait  penser aux disques de Bobby Hutcherson, mais aussi à à "The Sequel" du regretté Mulgrew Miller, où l'on retrouve à l'exception de la trompette de Dave Eubanks, une instrumentation identique  et dans les deux enregistrements les  saxophones  alto et soprano de Steve Wilson.


La pièce maîtresse de l'ensemble est "The Shade Of The Cedar Tree", une composition tout à fait enthousiasmante de Christian McBride, l'une de celles que l'on aime à  se repasser en boucle. Le titre est un hommage à Cedar Walton dont la disparition le 28 août dernier, peu après celle Mulgrew Miller, est venue raréfier le cercle restreint des très grands maîtres historiques du piano "hardbop" encore en activité. Christian McBride a su parfaitement retrouver dans ce thème la couleur et la dynamique très particulière d'autres compositions mémorables de Cedar Walton, telles "Mosaïc", "Fantasy in D" (alias  "Ugetsu" avec les Jazz Messengers), ou "Bolivia". Il semble d'ailleurs l'affectionner particulièrement pour l'avoir incluse au répertoire de son big band et à chacun de ses concerts.


"People Music" reprend une instrumentation identique. En présentant le disque en avril dernier à sa sortie dans  Openjazz, Alex Dutilh avait fait fort justement remarquer que le remplacement  par le vibraphone  de la trompette plutôt attendue dans ce contexte amenait à Christian McBride des possibilités harmoniques tout à fait particulières. On retrouve aussi la forte empreinte "Blue Note" de "Kind of Brown". 

Le titre phare de l'album est "Listen to the Heroes Cry", une autre  composition du bassiste qui me rappelle par  le balancement de son ample introduction deux autres thèmes: "Armageddon" de Wayne Shorter dans l'album "Night Dreamer" ainsi que "In Search of the New Land" dans l'album éponyme de Lee Morgan. Sur cette piste, Ulysses Owen Jr. est à la batterie aux côtés de Christian Sands au piano, partageant le reste de la  session  avec  Peter Martin et Carl Allen.



"The Good Feeling" porte bien son titre. Christian McBride est ici à la tête d'un Big Band, où il a rassemblé la crème des musiciens de la nouvelle scène New Yorkaise: une solide section de saxes (Steve WilsonTodd BashoreRon BlakeTodd WilliamsLoren SchoenbergCarl Maraghi), une brillante section de cuivres (Frank GreeneNicolas PaytonNabate Isles à la trompette) et  Steve DavisMichael DeaseJames BurtonDouglas Purviance aux trombones et trombone basse. Le tout est emmené par Mcbride, Xavier Davis au piano, avec à la batterie le percutant Ulysses Owen Jr, qui trouve également au sein  d'une grande formation l'occasion de faire des étincelles.

On retrouve une version magnifiée de "The Shade of the Cedar Tree", ainsi que des arrangements d'une redoutable efficacité, dans la grande tradition des  Bill Holman et autres Sam Nestico chez Count Basie que la reprise de "Broadway" ne manque pas d'évoquer évidemment.



"Out There" vient de sortir et fait entendre le trio de Christian McBride dans une grande variété de climats et de tempo, dont une reprise de "My Favorite Things", deux ballades, "I Guess I'll Have to Forget", "I have dreamed" qui met en valeur le son profond du  bassiste à l'archet, un superbe "East of the Sun (and West of the Moon)" en tempo medium comme il se doit, un "Hallelluiah Time" où Mcbride et Owen Jr font irrésistiblement penser à Ray Brown et Ed Thigpen quand ils propulsaient les envolées d'Oscar Peterson, et pour finir  ce qui semble être devenu le morceau  de bravoure incontournable de la formation, un "Cherokee" survitaminé. 

L'introduction à la basse et aux balais par Mc Bride et Owen Jr est un grand moment de swing intense tout comme l'instant où ce dernier passe en un éclair  des balais aux cymbales. Le dialogue avec McBride met en vedette Ulysses Owen, d'abord sur la caisse claire aux balais, qu'on a rarement entendus aussi percutants depuis Philly Joe Jones, et aux baguettes ensuite sur le reste de l'instrument, pour  quelques mesures explosives avant la reprise du thème et une coda ausssi abrupte que  millimétrée.



Autant de raisons d'écouter (et d'acheter, merci pour eux...) ce disque que Christian McBride a tenu  à présenter lui-même en détail sur  son site, christianmcbride.com aux côtés de son batteur Ulysses Owen ("a dynamo little bird " !) et  où il évoque son mentor, son héros, Ray Brown...




vendredi 13 septembre 2013

Heureux qui comme Ulysses...



Il s'appelle Ulysses Owens Jr...  Je l'avais entendu pour la première fois dans "Listen to the Heroes Cry" extrait de l'album"People Music" de Christian McBride  qu'avait présenté Alex Dutilh dans son émission Open jazz à l'occasion de sa sortie en avril dernier. En cherchant le soir même sur Youtube, j'avais découvert une vidéo du jeune batteur: son jeu de balais et de cymbales sur un Cherokee pris à un tempo d'enfer y est proprement éblouissant. Quant à sa gestuelle, elle possède la souplesse et l'élégance de celle des  plus grands maîtres de l'instrument, je pense à Philly Joe Jones.


Voici la vidéo ( le lien ouvrira  une nouvelle fenêtre youtube) :


(Ndr: Il en  existe une autre version, enregistrée en 2009 au festival de Bratislava, que l'on trouve reprise sur le site du batteur mais avec une qualité de son et d'image nettement inférieure:



Quoi qu'il en soit c'est du très grand art. Je me suis immédiatement procuré le disque où l'on retrouve la  version enregistrée en studio, et tout aussi explosive, de ce Cherokee d'anthologie. 

Ulysses Owen Jr est pour le moment  le batteur attitré de Christian Mc Bride avec lequel il a enregistré plusieurs disques, tous excellents, et que je me suis également empressé d'acquérir par fidélité rétrograde au support physique.

On pourra aussi admirer le style de Ulysses Owen Jr, tout en  puissance et en finesse, sur ces superbes images enregistrées avec Kurt Elling en 2011 à la Jazzwoche de Burghausen.




D'autres vidéos et l'annonce de son nouveau disque, "U.O. Project, It's Time for You" sur le site de Ulysses Owen Jr.



jeudi 11 avril 2013

Le sourire de Paul Chambers

Vous est-il arrivé un jour de vous demander, en partance pour l'île déserte, quel serait, s'il n'en fallait garder qu'un, l'indispensable, l'irremplaçable  DVD de jazz à ranger dans la besace. Il ne m'a pas fallu très longtemps pour élire ce "John Coltrane, Live in '60 '61 & '65", dans la série "Jazz Icons", qui est une référence absolue du genre.


La raison en est une séquence filmée le 28 mars 1960 par la télévision allemande. Pour remettre les choses dans leur contexte, c'était la première fois que Coltrane venait en Europe, dans la formation de Miles Davis, à l'occasion d'une tournée du J.A.T.P (Jazz at the Philharmonic) organisée par Norman Granz. Au programme de cette année-là figuraient également les formations de Stan Getz et d'Oscar Peterson. Le J.A.T.P. avait derrière lui une tradition bien établie de "jam sessions" survoltées en fin de concert, occasion  ou prétexte à confrontations entre membres des différents orchestres engagés, et souvent unique occasion de pouvoir d'entendre en même temps des personnalités aussi différentes que pouvaient l'être celles de Johny Hodges, Ilinois Jacquet, Lester Young ou Charlie Parker. 



Miles Davis n'aimait pas les jam sessions. Granz avait initialement programmé trois séances avec les trois leaders, qui devaient bien entendu se retrouver tous ensemble à la fin. Il ne s'émut donc pas outre mesure du refus de Miles de sacrifier à la coutume. L'histoire ne dit pas si c'était parce qu'il  avait été ce jour là  particulièrement mal luné ou s'il n'avait appris qu'au dernier moment l'existence du contrat avec la télévision. Il n'en reste pas moins qu'en arrivant à Düsseldorf il décida ce jour-là de ne rien jouer du tout.


Pour éviter une annulation,  Granz rattrapa les choses auprès de la West Deutsche Rundfunk en proposant à la place une session avec Oscar Peterson, une session avec Getz, ainsi qu'une jam session finale. Coltrane accepta quant à lui de jouer trois morceaux, avec le Quintet de Miles Davis devenu en l'absence de son leader le Quartet de John Coltrane. C'est ainsi que nous sont parvenus, sauvés de l'oubli trois (quatre en fait) véritables trésors de que l'on nommait alors le "jazz moderne".

Pour sa nouvelle section rythmique, Miles Davis venait juste de décider qu'il ne conserverait que son bassiste Paul Chambers. Philly Joe Jones et Red Garland, qui s'illustrèrent en particulier dans la série Cookin', Steamin', Relaxin', Workin' pour Prestige furent remplacés par le tandem Jimmy Cobb et Wynton Kelly. Ils rejoignirent la formation de Miles en même temps que leur ex-leader Cannonball Adderley, et participèrent avec lui à l'enregistrement de l'historique session  "Kind of Blue".


C'est avec l'accompagnement  de ce nouveau trio que fut enregistrée la session de Düsseldorf. Je ne le redirai jamais assez, entre toutes les innombrables configurations piano/basse/batterie qui jalonnèrent l'évolution du jazz et de ses styles,  je tiens celle-ci pour la plus accomplie, la plus excellente, la plus satisfaisante de tout ce qu'il m'ait jamais été donné d'entendre en ce domaine. La plus emblématique de ce que peut bien vouloir dire "ça tourne !..", dans le jargon des musiciens de Jazz. Oui  décidément et en toutes occasions, ces trois  là  "tournent" et "pulsent" comme un seul homme. 

Il faut absolument les écouter  derrière Coltrane  dans le premier album enregistré sous son nom par Atlantic  et simplement intitulé "Coltrane Jazz".  (Le disque inclut un  "Village Blues" qui, avec l'arrivée d'Elvin Jones  et  de McCoy Tyner, ouvre pour Coltrane un nouvel horizon, annonçant  la  révolution de  "My Favorite Things", mais ceci est une autre histoire).


Tout au long des sept plages, le jeu de Wynton Kelly s'impose et explose, porté par le gros son et la puissante ligne de basse de Paul Chambers. Il faut y ajouter l'imperturbable régularité  de la grande cymbale de Jimmy Cobb (voir aussi sur ce blog mon billet "le coup de maître de Jimmy Cobb"). Ce dernier adorait marquer avec elle les quatre temps en noires égales, comme le faisait Vernel Fournier derrière Ahmad Jamal, tout en les ponctuant  de brefs éclats de caisse claire, de hi-hat  et de grosse caisse. Il s'était fait aussi une spécialité,  quand la tension venait  à son comble, d'un simple et diabolique "cross-stick" asséné  tous les quatrièmes temps sur le cercle en métal de sa caisse claire. 


Ce disque  est la meilleure occasion, s'il en fallait une, de resituer à sa juste la mesure l'originalité du jeu de Wynton Kelly et de ce que lui doivent aujourd'hui les plus grands noms du piano moderne, je pense en particulier à Herbie Hancock : une articulation  aérienne, des lignes qui rebondissent de mesure en mesure, imprégnées de tournures "bluesy", où s'équilibrent  à merveille tension et détente. Sous ses doigts, la phrase se distille en notes perlées qui semblent s'envoler, et ne jamais finir de porter, par paliers graduels, l'effervescence à son comble. 

Wynton Kelly, donc,  swinguait comme personne, et je  suis certain qu'être accompagné par lui ne devait pas être un moins pur bonheur pour les solistes que celui de s'arrêter pour simplement l'écouter jouer.

On retrouve cet équilibre, ce constant état de grâce dans deux autres disques avec "la-section-rhythmique-de-Miles-Davis-sans-Miles-Davis", "Live at Tsubo's" de Wes Montgomery, dont j'ai déjà  parlé ici, ainsi que  "Gettin together" signé par Art Pepper.


Aussi incroyable que cela paraisse, et à l'exception d'un célèbre et précieux document montrant Miles et Coltrane dans un monumental "So What", 




il n'existait à ma connaissance avant la parution du DVD de Jazz Icons aucun document filmé montrant en action le trio Chambers, Cobb, Kelly.

Cela méritait bien au moyen d'une série de captures vidéo, une petite visite guidée commentée et minutée des moments-clé de ces séquences historiques.

00:00:15
Wynton Kelly expose les accords de "On green Dolphin street":


00:00:28
Plan d'ensemble sur Coltrane et sa section rythmique


00:01:02
Jimmy Cobb se saisit des balais pendant que Coltrane expose le thème:


00:02:34
Une belle image de Coltrane de profil pendant son chorus avec un curieux artefact, comme une trace d' oscilloscope


00:05:20
Les mains de Wynton Kelly sur le clavier au début de son premier chorus


00:06:06
Wynton Kelly et son clavier en superposition, un bel effet souvent  sollicité dans ces séquences. Kelly improvise pendant que Jimmy Cobb fait monter la tension à l'aide de ses légendaires "cross-sticks" sur le quatrième temps.


00:07:13
Fin du solo de Kelly et chorus à l'archet (une grande spécialité de Paul Chambers)


00:08:16
Reprise du thème, Jimmy Cobb aux balais à nouveau, et conclusion sous des applaudissements, paraît-il rajoutés.


00:09:37
Le quartet enchaîne sur "Walkin", un grand classique  régulièrement joué aux côtés de Miles Davis. Le tempo est vif medium, et  Jimmy Cobb l'installe sans détour à la grande cymbale. La capture le saisit tournant la tête de côté, indiquant de sa part, pour avoir eu l'occasion de l'entendre il y a quelques années au Jazz Festival de Vienne, l'expression un moment de swing particulièrement intense.


00:10:57
Après  au passage avoir cité  sa composition "Some Other Blues", de l'album "Coltrane Jazz", Coltrane improvise quelques chorus en longues lignes sinueuses entremêlées d'harmoniques, ces fameuses "sheets (nappes)  of sound" qui en leur temps défrayèrent  la chronique.


00:12:42
Chorus de Wynton Kelly, Cobb, flou, à l'arrière plan semble aux anges


00:13:30
Belle superposition des mains droites Kelly au clavier,  Cobb sur sa cymbale ride, pendant que Cobb continue d'asséner ses "cross-sticks" de la main gauche.


00:13:54
La rythmique tourne à fond:


00:15:15
Paul Chambers à l'archet:


0:17:50 
Ré exposition du thème, Kelly swingue sur le blues, conclut en block chords pour amener le solo de  Chambers à la basse.


0:18:38
Chambers improvise en pizzicato


0:18:42
Au moment où Kelly rentre à nouveau, et où Chambers repasse en "walking bass", il se produit tout à coup quelque chose de magique. Il faut  regarder ces images au ralenti. Paul Chambers esquisse un sourire, et celui-ci s'agrandit peu à peu, finissant par à illuminer complètement un visage jusqu'alors  fermé. Il me plait de penser qu'il y a dans cet instant fugace toute la grâce et l'intime secret de cette musique. 

00:19:07
Un ultime chorus 


00:19:31
avant le célèbre final


00:20:03
Kelly expose les accords  d'"Autumn Leaves"

00:23:13
Tandis que Coltrane enchaîne sur ceux de "What's New", dont il développe la mélodie, rappelant qu'il était déjà aussi un magistral de interprète ballades.


00:23:40
Encore un superbe jeu d'ombres et de  lumières sur "What's new"


00:23:50
Soudain dans la pénombre un invité de marque. Rappelez-vous que Norman Granz voulait sa jam session.

00:24:16
Mais oui, c'est bien Stan Getz !


00:26:07
Dans la pénombre, un mystérieux  pianiste vient remplacer Wynton Kelly


00:26:07
Exposé de  "Hackensack", thème de Thelonius Monk et rencontre au sommet entre deux géants du saxophone ténor


00:32:21
Le pianiste est Oscar Peterson !


00:31:50
Mains puissantes, carrure de géant, la prodigieuse machine à swing tourne à plein régime...


00:32:53
Les ultimes et traditionnels quatre quatre entre Jimmy Cobb,


00:32:58
et les deux saxophonistes avant reprise finale du thème à l'unisson.


Le DVD ne s'arrête pas là , et  ce sera l'objet de la deuxième partie de cette contribution dont le seul but était de vous donner envie d'en faire l'acquisition toutes affaires cessantes . Les captures d'écran précises et minutées ont été réalisées sous Mountain Lion avec l'excellent logiciel DVD Snap 3 (publicité gratuite).