lundi 21 décembre 2015

Henri Florens, Marion Rampal, Raphaël Imbert au Café Provisoire à Manosque

Tous ceux qui eurent la bonne fortune de se trouver au Café Provisoire de la MJC de Manosque en cette soirée du 12 décembre ne l'oublieront pas de sitôt. Rassemblés pour la première fois sur une scène Henri Florens, Raphaël Imbert et Marion Rampal nous offrirent un concert d'une belle intensité, tant musicale qu'émotionnelle. Complicité, sensibilité, feeling étaient là comme rarement. Henri Florens est un immense pianiste, à la réputation trop confidentielle bien qu'il ait accompagné les plus grands, Chet Baker, entre autres. Aussi curieux que cela puisse paraître, car ils se connaissent de longue date, Raphaël Imbert et lui n'avaient jamais encore eu l'occasion de jouer ensemble.


Marion Rampal, que je découvrais pour la première fois en direct est une chanteuse  merveilleuse. L'ampleur de son registre et la perfection de sa technique vocale la rendent aussi bien capable de faire swinguer les paroles d'un standard du jazz que de restituer à la  perfection une aria du grand répertoire classique. Faisant partie depuis 2005 de la Compagnie Nine Spirit, c'était loin d'être  sa première rencontre avec Raphaël Imbert avec lequel elle enregistra l'album « Heaven » dans le cadre du projet « Mozart Duke Ellington » de ce dernier. 

Ce qui suit est en quelque sorte la playlist du concert illustrée des versions originales trouvées sur YouTube.

En ouverture de concert, « Love or Leave me », ici dans ma version préférée, celle du Miles Davis All Stars avec Dave Schildkraut à l'alto, Horace Silver, Percy Heath et Kenny Clarke à la batterie dont on appréciera le très bel accompagnement aux balais.



« Love me or leave me » interprété en duo  lors d'une soirée à la Meson à Marseille, par Henri et Marion



« In Walked Bud », composition de Thelonious Monk:


Marion nous l'interpréta  en mode vocalese comme dans cette version avec paroles ajoutée par John et Michele Hendricks, avec Charlie Rouse et la très monkienne section rythmique  d'origine formée par Larry Gales et Ben Riley, avec  Walter Davis au piano.



« Ugly Beauty », une autre superbe composition de Thelonious Monk:


« Someone to Watch over me» , un grand standard de Georges Gershwin, dans une interprétation d'Ella Fitzgerald:



« Sans toi», dans le film Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda:


Et dans sa reprise par Marion Rampal :  LosT ArT sOng (Sans Toi, Marion Rampal & Pierre-François Blanchard)


Démontrant la polyvalence de sa voix avec toute ses ressources expressives, Marion sut  nous transmettre  toute l'émotion du célèbre lamento de la mort de Didon dans l'Enée de Purcell.


Le répertoire, d'une remarquable variété au meilleur sens du terme change de registre avec le « Que reste-t-il de nos amours » du grand Charles Trenet:


« Twisted»  à présent, une composition du saxophoniste Wardell Gray dans sa version originale:


Marion nous en livre alors  l'adaptation vocale réalisée par Annie  Ross, où elle raconte ses déboires avec son psychanalyste, ainsi que dans cet extrait. 

My analyst told me that I was right out of my head
The way he described it, he said I'd be better dead than live
I didn't listen to his jive
I knew all along he was all wrong
And I knew that he thought I was crazy but I'm not
Oh no



« Youkali » est une magnifique mélodie. Elle fut composée par Kurt Weil sur des paroles de Jacques Fernay pour une pièce intitulé Marie-Galante et donnée à Paris en 1934. Marion Rampal en a donné ce soir là une envoûtante version:

C’est presque au bout du monde
Ma barque vagabonde
Errant au gré de l’onde
M’y conduisit un jour
L’île est toute petite
Mais la fée qui l’habite
Gentiment nous invite
À en faire le tour
Youkali, c’est le pays de nos désirs
Youkali, c’est le bonheur, c’est le plaisir
Youkali, c’est la terre où l’on quitte tous les soucis
C’est, dans notre nuit, comme une éclaircie
L’étoile qu’on suit, c’est Youkali

« Come Sunday » de Duke Ellington, dans sa version de référence,


Un avant dernier « Autumn Leaves », pour finir, ici  dans une de ses plus belles versions, celle de Miles Davis en guest star lors  de la session d'enregistrement de l'album Blue Note « Somethin' Else » de Canonball Adderley.  



En bis, un vent de jam session avec un euphorique « I am Beginnin' »  to see the light



Et en rappel de rappel enfin, tant on eût aimé que tout ceci se prolonge, Henri Florens, revenu seul sur scène au piano, et qui nous avait emmené auparavant dans des variation autour de Scriabine improvise encore sur un thème de Bill Evans, le dernier qu'il ait composé avant sa mort, émouvant hommage du disciple à son maître.




lundi 6 juillet 2015

Aux sources du Blues et du Jazz, le Festival Cooksound, les 9, 10 et 11 juillet à Forcalquier

Pour tout amateur de jazz, berceau de tous les métissages, carrefour des cultures entre racines africaines et traditions de la vieille Europe, la ville de New Orleans  est le lieu mythique des origines, celui  d'un âge d'or de cette musique en son enfance, avant qu'elle n'en vienne sous de nouvelles formes à conquérir le monde entier.


Elle a su rester depuis bien vivante,  comme le montrent les trente-six épisodes de la série Tremé, plus que jamais  bruissante de musiques et d'énergies aux lendemains de la catastrophe de l'ouragan Katrina qui la dévasta. Pour qui n'aurait pas déjà eu le privilège d'y effectuer un retour aux sources, le Festival Cooksound  offrira du 9 au 11 juillet une occasion unique de s'immerger dans l'ambiance chaleureuse et colorée des rues et quartiers de l'ex-capitale de la Louisiane.

Il régnera en effet les 9, 10, et 11 juillet du prochain week-end  dans les rues de Forcalquier ainsi que dans le superbe cadre du Cloître du Couvent des Cordeliers une ambiance de Bourbon Street et de Vieux Carré Français, agrémentés des effluves épicés, des goûts et des couleurs des cuisines traditionnelles créole et cajun. Car cet événement, le quatrième du nom, organisé par le collectif marseillais "la Plage sonore" administré par Laurent Kouby a l'originalité de s'adresser autant au sens de l'audition qu'à celui du goût, en proposant avant et après concerts la dégustation de spécialités locales (sandwich Po'Boy, soupe Gombo de crevettes, riz aux haricots rouges etc...)


 

En plus d'animations de rues, de projections de films et de concerts gratuits dont on trouvera le déroulé détaillé sur le site cooksound.com, les temps forts de ce festival particulièrement original dans sa conception et sa programmation seront marqués par  la venue devant le public du Couvent des Cordeliers de deux figures emblématiques de la nouvelle scène néo-orléanaise, le violoniste et accordéoniste Cedric Watson dans son répertoire de musique cajun et créole mâtiné de soul, de blues et de zydeco (ou encore en français de louisiane "zarico") ,  ainsi que  Kirk Joseph et son  Backyard Groove,  un des fondateurs  du fameux "Dirty Dozen Brass Band", au style funky à la James Brown, tous cuivres dehors, avec son Soubassophone, (alias Sousaphone , du nom du compositeur et chef de fanfare John Philip Sousa), ce merveilleux instrument au son si profond, incontournable pivot rythmique et harmonique, ici réactualisé dans la grande tradition des Brass Bands et des fanfares de rue.



Pour sa soirée de clôture, le  Cooksound Festival de Forcalquier, centré cette année sur une thématique Néo-Orléanaise, se devait bien évidemment de donner carte blanche au Forcalquiéren d'adoption  Raphaël Imbert et à son projet "Music is My Home", découvert en hiver dernier à l'occasion  d'un mémorable concert au Théâtre de la  Durance. Raphaël expliquera sûrement sa démarche comme il le fait toujours , aboutissement de plusieurs voyages en immersion dans le "Deep South" des Etats-Unis, aux sources du blues et du jazz, de la Louisiane à la Caroline du Nord, et à la rencontre de tous ceux qui en perpétuent là-bas encore aujourd'hui la légende vivante.

La formation rassemblée à cette occasion  met en valeur  deux personnalités exceptionnelles, celles de Big Ron Hunter et d'Alabama Slim, figurant tous les deux au catalogue de la Music Maker Relief Foundation et ce  tant par les improvisations et  contrechants de Raphaël Imbert aux divers saxophones, ténor, alto, soprano (qu'à l'instar d'un Roland Kirk il lui arrive d'utiliser en même temps) qu'avec le soutien d'une rythmique puissante et "groovy" au sein de laquelle on retrouvera avec plaisir l'excellente Anne Paceo à la batterie.

Pour qui n'aurait jamais eu l'occasion d'entendre de la musique de blues dans toute son authenticité, l'expérience est sans égal. Quand, sur un tempo "low down", la voix profonde du blues se fait entendre et que les guitares se mettent à "parler", il se passe  tout à coup quelque chose. Revient alors intacte en la mémoire l'émotion autrefois ressentie à l'écoute de Muddy Waters et de B.B. King.






Raphaël Imbert à la rencontre de Big Ron Hunter



Big Ron Hunter, Make that Guitar Talk



Alabama Slim, Blue and Lonesome. Live in Germany at the Leverkusen Jazz Stage

Pour plus informations détaillées sur les autres artistes présents, Isaya, Honky Tonk Syndicate, Slurp Brass Band,  Ed Noda, Bayou Gombo, ainsi que sur les films documentaires projetés et les dernières nouvelles du Festival voir:


et aussi:




jeudi 25 juin 2015

Le Coeur qui Jazze à l'antenne sur France Musique !

Dans son émission Open jazz du  22 juin,  Alex Dutilh a fait à l'auteur de ce blog l'insigne honneur d'évoquer sa dernière contribution à propos des "Chats du jazz". A réécouter ci-dessous.


Deux pages sont de plus à présent  accessibles dans la rubrique "Culture Jazz" sur le site de France Musique ici et .

J'en profite pour ajouter à la recension jazzistique et  féline cet album de Sahib Shihab, intitulé "And  All Those Cats",  en remerciant mon ami Jean-Jacques Pinto pour m'en avoir fait la suggestion judicieuse.



Cette petite formation (Sahib Shihab, Benny Bailey, Ake Persson, Jimmy Woode, Fats Sadi, Francy Boland, Joe Harris et Kenny Clarke) est intéressante en ce qu'elle constitue un modèle réduit du Clarke Boland Big Band. A ce propos le disque "Handle with Care" du CBBB, difficile à trouver il y a quatre ans, est à présent disponible à l'écoute sur Spotify. Entre autres richesses d'arrangement on y retrouvera le somptueux unisson de la section des saxes dans le "Get Out of Town"de Cole Porter. A 3:37 il  n'a rien perdu de sa puissance ni de sa splendeur.



Et encore une autre fabuleuse section d'anches en pleine action, après la swinguissime introduction au piano de Sir Roland Hanna, et menée par les "cats" Jérôme Richardson et  Pepper Adams dans le "Groove Merchant" du Thad Jones Mel Lewis Big Band, à 4:00 sur la vidéo.


mardi 26 mai 2015

Les chats du jazz

Les jazzmen aiment les chats. Dans l'argot du jazz un musicien est un "cat" comme dans les expression  "dig the way this cat is blowing !.."  ou bien "Hey man ! Dig the crazy changes this cat is playing !.. ".

Et les chats au fait, aiment-ils le jazz ?


La baronnne Pannonica de Königswarter aimait aussi les chats. Dans sa grande demeure sise au bord de l'Hudson où elle s'installa en 1972, elle en avait, dit-on, deux cent six. On appelait cet endroit la "Cathouse". Pannonica aimait passionnément  le jazz, et la Cathouse devint  fort logiquement un lieu de prédilection et pour certains parmi les plus illustres, un lieu de refuge  pour tous les "cats" que comptait  New-York en ces années là.


"Lassée d'être traitée en indésirable dans les hôtels, Nica, sur le conseil de Thelonious, achète une maison à Weekhaven, dans le New Jersey, maison construite dix ans auparavant par le cinéaste Josef  Von Sternberg, et qui sera baptisée par Monk Catsville, - " Cats " dans l'argot jazz noir américain signifie gars, musiciens - puis Cathouse, en raison de la  centaine de chats recueillis par Nica, militante de la protection animale. 

A travers les immenses baies vitrées, la vue sur le midtown Manhattan et le fleuve Hudson est magnifique. Nica et ses protégés ont enfin trouvé un lieu où se détendre, créer, jouer au ping-pong, dormir, répéter, faire des jam-sessions en toute liberté." 


On y rencontrait à vrai dire tout le Gotha du Jazz. Tous ceux qui comptaient à l'époque, et devenus célèbres depuis,  passaient par là :

Thelonious Monk bien sûr mais aussi Barry Harris, Wynton Kelly, Freddie  Hubbard,  Jimmy Cobb, Art Blakey, Doug Watkins, Hank Mobley, Albert Heath, Ronnie Matthews, Art Taylor, Blue Mitchell, Charles Mc Pherson, Bob Cranshaw, Frank Foster,  Paul Chambers, Cedar Walton, Kenny Clarke, Zoot Sims, Benny Green, Roland Hanna, Elvin Jones, Richard Williams, Bobby Timmons, George Coleman, Joe Zawinul, Benny Golson, Louis Hayes, Thad Jones, Clifford Jordan, Julian Priester, Clifford Jarvis, Bobby Hutcherson, Ron Carter, Bill Evans, Max Roach, Sam Jones, Kenny Burrell, 


Reggie Workman, Charlie Persip, Kenny Drew, Archie Shepp, Gerry Mulligan, Count Basie, Jack Montrose, Melba Lison, Art Farmer, Stanley Turrentine, Jaky Byard, Jimmy Heath,  Johnny Griffin, Herbie Nichols, Junior Cook, Babs Gonzalez, Cecil Payne, Eric Dolphy, Walter Davis, Roy Haynes, Lee Morgan, Red Garland, Bill Hardman, Pepper Adams, Andrew Hill, Wilbur Ware, Sonny Rollins, Sonny Clark, Richie Kamuca, Jay Jay Johnson, Horace Silver, Billy Higgins, Wayne Shorter, Hank Jones, Al Grey, Philly Joe Jones, Duke Jordan, Kenny Dorham, Curtis Fuller, Tommy Flanagan, Sun Ra, Joe Henderson, Cannonball Adderley, Elmo Hope, Clark Terry, Charlie Rouse, John Coltrane, ainsi qu'un certain Miles Davis et j'en oublie...



Il en est resté un extraordinaire ouvrage intitulé "Les musiciens de jazz et leurs trois voeux" qui rassemble tous les polaroids que la baronne avait pris l'habitude de prendre des jazzmen de passage, en les accompagnant  de petites fiches tapées à la machine  où figuraient à sa demande les trois voeux formulés par chacun.



Thelonious Monk vécut à la Cathouse jusqu'à la fin de sa vie. Concernant son rapport avec les chats de Nica, on rapporte quelque part à son sujet qu'il les détestait. Rien ne vient le confirmer, disons qu'à tout le moins il devait les supporter pour faire plaisir à sa grande amie de toujours.





Les chats font partie de l'imaginaire du jazz. De leur démarche souple et furtive, de leur "Cat Walk" ils en hantent les recoins. A commencer par leur présence sur la pochette de ce  disque de Tommy Flanagan, sobrement intitulé "The Cats" et où l'on entend John Coltrane  et Kenny Burrell sur plusieurs belles compositions du pianiste (Eclypso, Minor Mishap) . 




"The Cat Walk" est quant à lui un  thème de Donald Byrd, qui donne son titre à l'album Blue Note BLP 4075.





The "Little Giant", le saxophoniste Johnny Griffin n'est pas en reste avec sa propre composition intitulée... The Cat.


Un autre célèbre félin du jazz feule, ronronne et gronde sous les doigts de Jimmy Smith, aux commandes de son Hammond B3. Ce thème fut justement écrit par Lalo Schifrin pour la musique du film "Les Félins"  de René Clément. (Merci Alexandre !). La tonitruante  version originale mobilise le big band d'Oliver Nelson:





Ceux qui comme moi  tiennent en la plus haute estime Claude Nougaro, autre amoureux du jazz et inégalé sorcier des mots,  ne manqueront pas d'y reconnaître son chat francisé avec verve.






Dès ses origines, les compositions du jazz firent référence ou révérence aux chats, ainsi ce "Tom Cat Blues", de Jelly Roll Morton, interprété en 1926 par le grand cornettiste King Oliver.


Un an plus tôt, Clarence Williams en compagnie de Sydney Bechet avait joué ce roboratif et réjouissant "Wild Cat Blues":



Quelques années plus tard en 1959, Charlie Mingus enregistrait un lancinant et low-down "Pussy Cat Dues",  huitième  plage de l' album "Mingus Ah Hum", l'un des plus grands disques de toute l'histoire du jazz.



Ce petit inventaire félin et jazzistique ne saurait se conclure sans mentionner le nom de "El Gato", alias "Cat" Anderson, spécialiste des envolées stratosphériques dans le suraigu dans la section des trompettes de l'orchestre de Duke Ellington.



Je ne peux non plus manquer  d'évoquer un lieu mythique, disparu depuis, où j'eus le privilège de vivre pendant mes deux années parisiennes en 1968 et 1969 d'intenses et d'inoubliables instants à l'écoute de quelques uns  de ces prodigieux musiciens de légende qui demeurent à jamais dans la mémoire du jazz, Hank Mobley (1), Pepper Adams et Joe Henderson, mais aussi Tony Scott (accompagné par Philly Joe Jones en personne !), Ted Curson ou Charles Tolliver. C'était une cave en clair obscur où l'on accédait par un petit escalier. 

C'était un des club de jazz les plus "hip" au monde, en face du Caveau de la Huchette.  Contrairement à ce dernier, on n'y jouait que du "jazz moderne" et l'on y vit passer un peu plus tôt la fine fleur de cette musique, Bud Powell, Chet Baker, Eric Dolphy, Jackie McLean, Johnny Griffin, Lucky Thomson, Donald Byrd, Bobby Jaspar. Du nom d'une des rues paraît-il les plus étroites de Paris, qu'il jouxtait, il s'appelait..." Le Chat qui Pêche".




(1) Voir à ce sujet sur ce  blog mon article "Solitude de Hank Mobley"

Liens annexes:



Le formidable documentaire intitulé "The Baroness: the search for Nica, the rebellious Rothschild" , réalisé par Hannah Rothschild, la petite nièce de Pannonica de Königswarter est encore disponible sur amazon.


La chanson du Chat qui Pêche:

mardi 3 février 2015

Deux chanteuses oubliées, qui ne méritent pas de l'être. Deuxième partie: Joy Bryan

Joy Bryan n'aura, comme Lucy Ann Polk, laissé que deux albums, "Joy Bryan Sings" sous la référence Mode-LP 108, enregistré en juin 1957 avec le Septet de Marty Paich, et "Make The Man Love Me", sous la référence Contemporary M 6304, les 26, 28 et 29 juillet 1961, avec le soutien  d'une  exceptionnelle section rythmique constituée de Wynton Kelly, Al Viola, Leroy Vinnegar, et Frank Butler.




Ces deux disques ont été réédités sur le label Freshsound en un seul CD, pour le moment encore assez  largement disponible. Il inclut l'essentiel de ce qu'on peut savoir de l'itinéraire de Joy Bryan avec les "liner notes" de Joe Quinn pour le premier enregistrement, et celles de Leonard Feather pour la session Contemporary. 

On y apprend qu'originaire de Newcastle dans l'Indiana, Joy Bryan fut très tôt encouragée à chanter, sous l'influence d'une mère, elle même chanteuse, et d'un oncle prédicateur. (My oncle was a preacher in the Pentacostal church, where we clapped  hands and sang).

Ses débuts musicaux s'effectuèrent à Indianapolis auprès du pianiste Sanford Gold ("it was a strange band for  me to start with", she recalls, "because they had charts like "Groovin high" and "Salt Peanuts", and Dizzy and Bird didn't even exist in my world. During the four weeks with this combo I sat and hummed all the parts to myself and learned to love them.")

Ses premiers engagements dans les jazz clubs de la région lui firent rencontrer des musiciens de la scène locale, comme les frères Montgomery,  Carl Perkins, ou Leroy Vinnegar.

Après avoir quelque temps poursuivi une  carrière de chanteuse et de compositrice à Denver, puis à Salt Lake City, où elle se produit avec le trio de Dave Frishberg, elle finit par s'établir à Los Angeles en 1956. 

C'est là qu'elle sera  remarquée par Jimmy Rowles, expert notoire en ce qui concerne l'accompagnement des vocalistes, et chanteur lui même, qui la recommandera  à Marty Paich.  


Jimmy Rowles

Celui-ci sera  l'arrangeur de son premier album  pour le label Mode en rassemblant autour de Joy une formation de tout premier plan pour l'époque (Jack Sheldon (trumpet) Bob Enevoldsen (clarinet, bass clarinet, valve trombone) Herb Geller (clarinet, alto saxophone) Ronnie Lang (clarinet, baritone,alto saxophone) Marty Paich (piano) Red Mitchell (bass) Mel Lewis (drums)).

Le résultat est à la hauteur, comme en témoigne cette magnifique version de "Round Midnight".


ou ce  "When  it's Sleepy Time Down South":


Après un engagement au "Hungry I" de San Francisco, elle se produira  à Los Angeles avec Rowles et  Red Mitchell (Other than working with the Montgomery Brothers, these concerts were the most fun I ever had in music).

En 1961, Lester Koenig l'enregistre sous le label Contemporary, occasion d'offrir à sa voix plus bel écrin dont une chanteuse de jazz puisse rêver. Wynton Kelly est en effet un merveilleux accompagnateur, le plus grand sans doute, comme on peut s'en rendre compte en l'écoutant aux côtés de Dinah Washington,  mais aussi d'Helen Humes, Teri Thornton, Lorez Alexandria, Abbey Lincoln ou Mark Murphy. 

Wynton Kelly était à cette époque en Californie avec Paul Chambers et Jimmy Cobb, à l'occasion d'une tournée du quintet de Miles Davis qui donna lieu aux fameux enregistrements des "Friday Night and  Saturday Night at the Blackhawk" à San Francisco.


Lester Koenig saisira l'opportunité en empruntant  à Miles Davis sa légendaire "All-Star Rythm Section" pour produire le splendide "Gettin'  Together" d'Art Pepper.


Pour l'enregistrement de la session de  "Make The Man Love Me", Paul Chambers et Jimmy Cobb seront remplacés  par les bassiste et batteur maison, en l'espèce Leroy Vinnegar et Frank Butler, dont le puissant soutien  contribua a quelques uns des  plus beaux fleurons du catalogue Contemporary, (1)

Dans le morceau qui donne son titre à l'album, Joy Bryan donne toute la mesure d'un art vocal d'une très grande sensibilité, sublimé par l'accompagnement magistral de  Wynton Kelly. 


Sur "Almost Being in Love",  Kelly démontre son absolue maîtrise des lignes aériennes et du "comping". Le démarrage à 1:41 de son court chorus, avant les échanges avec Butler et Vinnegar et la reprise de la mélodie est un pur régal à lui tout seul.



"My Romance" est quant à lui un chef d'oeuvre de swing et de légèreté, introduit par la guitare d'Al Viola. On y entend Wynton  Kelly souligner d'un trait vif argent le  "castle" dans "My Romance doesn't need a castle rising in Spain", juste avant de nous gratifier d'un chorus alerte et bondissant, ponctué comme il se doit par Frank Butler ainsi que le faisait Jimmy Cobb, de la marque de fabrique de ce dernier, le très fameux rim shot sur le quatrième temps.



"The world of popular and jazz singing (which overlap and  in effect are often one world) contain two basic types of performer. One, found more often in the non-jazz area, is the show business virtuoso whose salient traits are extrovert projection, heart-on sleeve passion and a crowd-pleasing delivery of familiar material.

The other is the artist like Joy Bryan, whose emotional intensity can be discerned without the need of any such calculated effects, whose sensitive ear and jazz-oriented feeling are reflected in a essentially musical approach. Years of association with jazzmen have imbued her with the realization  that communication in music can be achieved on a person-to-person  rather than performer-to-the masses level. Her taste and honesty are reflected consistently in her work throughout these sides."

Goût, sensibilité, honnêteté, absence d'artifice, intensité émotionnelle, musicalité. Difficile de dire aussi bien  les choses que dans cette introduction de Leonard Feather au dos cet album unique et sans lendemain, un peu comme s'il n'avait plus été possible pour Joy Bryan d'imaginer faire mieux, et que,  d'une certaine façon, cette perfection-là suffisait à sa modeste ambition. Il est précisé sur l'unique fiche wikipedia disponible à son sujet (en allemand curieusement) que 1961 fut aussi l'année de son mariage avec Lester Koenig, son producteur, dont l'illustre firme, on en trouvera ici la passionnante histoire, un temps reprise par son fils John, fut rachetée  à la fin des années 1970 par Fantasy. 

Retournée semble-t-il volontairement à l'anonymat, il ne reste de Joy Bryan à présent, à l'exception de ces deux admirables disques, qu'une seule trace sous la forme d'un crédit photo pour la pochette du  disque "Straight Ahead" (Contemporary S-7635) des très renommés Poll Winners (Barney Kessel, Ray Brown et Shelly Manne),  enregistrés par  son mari Lester Koenig  le 12 juillet 1975.





(1) Pour Leroy Vinegar et/ou Frank Butler, Harold Land ("Harold in the Land of Jazz") , Phineas Newborn ("The Newborn Touch"), Hampton Hawes ("For Real"), Art Pepper ("Smack Up" et "Intensity") Curtis Counce ("You Get More Bounce with Curtis Counce", "Landslide", "Carl's Blues"), Teddy Edwards, ("Teddy's Ready", "Good Gravy",)  Sonny Rollins ("Sonny and the Contemporary Leaders"), Shelly Manne ( "My Fair Lady") etc...






lundi 2 février 2015

Deux chanteuses oubliées, et qui ne méritent pas de l'être.

Après l'indispensable Petit Dictionnaire Incomplet des Incompris  d'Alain Gerber, il faudra aussi un jour écrire celui des Oublié(e)s. Ce sont du reste parfois les mêmes. Ils ou elles ont joué, chanté à la faveur d'une réputation éphémère ou confidentielle, et puis s'en sont allé(es), disparaissant de la mémoire et  de la grande histoire.



Le catalogue de l'éditeur Fresh Sound recèle à cet égard de nombreux incroyables trésors retrouvés à la faveur d'opportunes et souvent improbables rééditions.

Curieusement, mais en fait non si l'on considère leur statut resté longtemps subsidiaire, pour ne pas dire  simplement récréatif ou pire encore décoratif, au sein des orchestres de jazz, à l'exception des  Ella, Billie, ou Sarah devenues divas à leur manière, il s'agit souvent de chanteuses.

Lucy Ann Polk et Joy Bryan en sont le parfait exemple. (Il faudra aussi parler un jour de Dolores Gray, Carol Sloane, Linda Lawson, Jeri Southern, Joannie Sommers, Beverly Kenney, Lorez Alexandria, Teri Thornton, Carline Rey et tant d'autres.) Les  discographies de Lucy Ann Polk et de Joy Bryan  ont en commun de ne comporter que deux enregistrements répertoriés et réédités en CD, ainsi que sur deux d'entre eux le fait  de bénéficier d'arrangements de Marty Paich. La présence du nom de ce dernier sur une pochette vaut toujours à elle seule garantie d'excellence.

En ce qui concerne Lucy Ann Polk, la notice Wikipedia est des plus succinctes, et il en faudra plus pour donner à sa biographie l'épaisseur de celle consacrée par Ellen Johnson à  Sheila Jordan,  à la carrière et à la notoriété sans commune mesure il est vrai.




Une première session, enregistrée à Hollywood en juillet 1953 nous la fait entendre sur de célèbres compositions de Burke & Van Heusen, au sein du Dave Pell Octet, accompagnée par Don Fagerquist (tp),  Dave Pell (ts) et Claude Williamson au piano, sur des arrangements de Shorty Rogers, autant dire ce qui se faisait de mieux à l'époque parmi les West Coasters.



"Swingin on a star", "Polka dots and moonbeams", "It could happen to you", sur toutes les plages la musique coule, limpide et heureuse.  L'exactitude dans la nonchalance, rien ne saurait mieux caractériser ce jazz californien des années cinquante. On ne peut que repenser en l' écoutant à ce qu'en disait il y a quelques années  Jacques Réda:

La West Coast... Qui s'y aventure s'y repose,
parmi des ombres et des clartés qu'un vent frais balance dans la tiédeur,
dans un espace clos où l'on voit miroiter au loin, par des trouées, la mer.

It could Happen to You:



But Beautiful:

Swingin' on a star:

La seconde session fut  enregistrée quatre ans plus tard, toujours à Hollywood, le 12 juillet 1957, publiée sur le label Mode sous le titre  "Lucky Lucy Ann". Lucy Ann Polk  avait alors trente ans. Comme souvent, Marty Paich y officie à la fois comme pianiste et comme arrangeur. On lui doit en particulier ce jubilatoire "Don Cha Way Go Mad", composé par Illinois Jacquet et Jimmy Mundy, sur des paroles d'Al Stillman,  et popularisé dans les versions de  Mel Tormé, Ella Fitzgerald et Frank Sinatra. On ne manquera pas en passant d'apprécier le délicieux "rendezvous" de Lucy Ann  dans:

"I must confess what you say is true
I had a rendezvous with somebody new
That's the only one I ever had
Baby, baby, don'cha go away mad"



How about You:

Just  A-Sittin  and  A-Rockin:



On prêtera de plus attention sur ces plages à la pulsation toute en souplesse et fluidité  entretenue par le tandem basse batterie Buddy Clark /  Mel Lewis. Le saxophone ténor mériterait à lui tout seul de figurer au répertoire des inconnus illustres, puisqu'il s'agit de Bob Hardaway, multi instrumentiste très actif dans le cadre des enregistrements de musiques de films pour les studios hollywoodiens. On peut trouver encore en édition japonaise un des rares disques,  probablement  le seul, enregistré sous son nom, en quartet avec Marty Paich et Larry Bunker, pour  le label Bethlehem (Bethlehem BCP 1026) alors même  qu'il avait  participé a de très nombreuses sessions en Big Band (avec Woody Herman et Stan Kenton notamment).



Pour la petite histoire Bob Hardaway est le fils de J.B. "Bugs" Hardaway, créateur du personnage de Bugs Bunny,  ainsi que plus tard celui de Woody WoodPecker pour les studios  de Walter Lantz.




A suivre Joy Bryan...

dimanche 1 février 2015

Art Blakey's Jazz Messengers at Ronnie Scott's

Cette video, parle d'elle même... Tout commentaire est superflu.