mardi 26 juillet 2011

Deux livres de batterie (avec plein d'images)

 Que voulez-vous, c'est comme çà, certains se passionnent pour les coureurs et les vélos, moi c'est pour les batteurs et leur batteries. Au point de m'être précipité  sur deux ouvrages découverts  sur Internet et respectivement consacrés à l'histoire des batteries Gretsch, dont le titre "Gretsch Drums: The Legacy of "That Great Gretsch Sound"" reprend le fameux slogan de la marque, ainsi que  "Star Sets: Drum Kits of the Great Drummers" consacré  aux instruments utilisés par les  batteurs, que ce soit dans le domaine du jazz, ou celui du du pop-rock.


On y confirme en particulier,  je le savais déjà , que Charlie Watts, le batteur des Rolling Stones, est d'abord un batteur de jazz frustré, au point même d'avoir comme Art Blakey, Elvin  et Philly Joe Jones, toujours choisi de jouer sur une batterie Gretsch. Ringo Starr, Le batteur des Beatles quand à lui trouve bizarrement les Gretsch trop rapides et semble assez fier de sa   Ludwig "Black Oyster".


Jusqu'à la fin des années soixante, aux Etats-Unis, berceau du jazz et du rock, l'industrie de la batterie était dominée par une poignée de  grandes compagnies  dont Gretsch, Ludwig, Rogers, Slingerland, avant que le Japon ne vienne remettre en question la suprématie américaine, avec des marques comme Tama, ou Yamaha.


Le fameux logo associé à "That great Gretsch sound"

Avec  l'histoire de la compagnie Gretsch, c'est toute l'évolution stylistique du jazz sur plusieurs décennies qui se trouve retracée, ainsi que l'apport des évolutions techniques sur le jeu des batteurs. Les photographie des kits de batterie dans les années 1920-1930, montrent d'invraisemblables assemblages de grosses caisses disproportionnées, de minuscules toms "chinois", accrochés on ne sait trop comment, de petites cymbales et de toute une quincaillerie de gongs, cow bells et autres bidules sonores. On y inventera la double cymbale activée au pied, dite high-hat, ainsi que des pédales et des systèmes de tension de la peau sur les fûts de plus en plus performants. Le matériau de base est le bois sous forme de feuilles collées, sur plusieurs "plis", sous le placage de finition. La batterie des grands orchestres de la période swing, avec Chick Webb ou Sonny Greer chez Duke Ellington ne dépareraient pas au sein des percussions de Strasbourg, avec wood-blocks et timbales symphoniques.


Art Blakey et sa légendaire Gretsch

Avec l'explosion du Be-Bop, et les innovations révolutionnaires d'un Kenny Clarke, en particulier l'abandon progressif des quatre noires égales marquant le temps à la grosse caisse au profit d' une ponctuation plus discontinue, la pulsation de base étant transférée sur la cymbale, Gretsch innove en proposant des modèles, dont le fameux kit "Broadkaster Progressive Jazz", avec des grosses caisses à la taille réduites de 20" à 18", un tom medium et un tom basse, qui deviendront l'archétype de la batterie de jazz, massivement adopté par les stars du genre dans les années cinquante (Art Blakey, Max Roach, Philly Joe Jones, Elvin Jones, Charlie Persip etc...) et qui deviendront pour la marque autant de précieux"endorsers" (1).


C'en est au point qu'une nuit spéciale sera organisée au Birdland pour mettre en valeur les exploits des plus célèbres rythmiciens de l'époque, et leurs batteries Gretsch, dont un modèle spécial, la"Cadillac Green Nitron",  sera même conçu à cette occasion. Avec leurs finitions plaquées or,  les rares modèles restants figurent parmi les batteries "vintage" les plus recherchées aujourd'hui. (Et oui, il y a aussi  des collectionneurs de batteries !).




Il reste de ces torrides soirées, qui attiraient un public nombreux, un double disque intitulé "Gretsch night at Birdland". Après un exposé de standards du be-bop comme "Now is the time", de courts choruses des souffleurs deviennent vite le prétexte à de très longs échanges entre batteurs. (à ne surtout pas manquer dans ce disque  le formidable jeu de balais d'Elvin Jones sur le solo de Tommy Flanagan !)


Le disque est passionnant par les comparaisons qu'il permet entre des motifs, des couleurs et des dynamiques aisément différentiables lors d'une écoute attentive. On pourra approfondir cet exercice avec une autre rencontre au sommet, celles qui rassembla pour Atlantic les deux batteurs mythiques du jazz moderne, Elvin Jones et Philly Joe Jones. On y entend de longs développements, chacun des deux batteurs s'accompagnant l'un l'autre, à la tête d'une excellente formation rassemblant Hank Mobley, Curtis Fuller et Wynton Kelly. `


(1) Endorser. De "endorsement", soutien, approbation. Ainsi appelait-on les instrumentistes qui conféraient  à telle ou telle marque le droit d'utiliser leur nom ou leur image à des fins promotionnelles et publicitaires. "Untel joue sur...". Sans faire l'objet d'une rémunération particulière, en tout cas pour ce qui concernait les batteries Gretsch, la firme récompensait ses soutiens en nature, en leur fournissant gratuitement sur une base annuelle, kits complets et jeux de cymbales. (Gretsch c'était aussi les réputées cymbales K.Zildjian). Il paraissait dans la presse spécialisée , Downbeat essentiellement, de nombreuses publicités dont on peut encore aujourd'hui trouver les originaux sur internet pour quelques dollars. Certaines, par exemple de la série "Perfectly Matched" pour Ludwig sont restées fameuses.


Et pour Gretsch aussi bien sûr ,"The perfect Match" avec les artistes maison:


Ou bien Gretsch makes it, Art Blakey plays it !


sans oublier  la série "Best beat of a lifetime"




Petit bonus supplémentaire, vous pouvez aller  sur le site de la firme, www.gretschdrums.com et y  feuilleter en ligne le catalogue Gretsch de l'année 1958, grand millésime s'il en est . 

dimanche 24 juillet 2011

La caisse claire de Philly Joe Jones

"Et là, un jour j'ai vu Philly Joe Jones. Arrivé le dernier, j'ai dû en quelque sorte m'asseoir sur ses genoux, mais il ne s'est aperçu de rien. Il a continué de battre son aire, dans un poudroiement d'opaline, environné de tumulte. Il suffisait qu'il baissât les yeux sur ses caisses pour que leurs peaux se missent à trembler. L'air surchauffé vibrait à l'unisson. Les murs ondulaient en cadence. Le sol se mettait à tanguer. L'été sonnait sa cloche à toute volée. On se tenait à son chapeau pour ne pas perdre l'équilibre."

Ce beau texte d'Alain Gerber à propos  de Philly Joe Jones au "Chat qui pêche" à la toute fin des années soixante, est extrait de ses "Balades en Jazz". Il se trouve que j'eus mois aussi  à cette époque l'occasion de vivre  semblable expérience , à l'écoute rapprochée de la batterie de "Philly Joe" Jones, l'un des plus prodigieux batteurs de toute l'histoire du jazz.


         Philly Joe Jones par  F.Wolff

Cela  se passait au Musée d'Art moderne, lors d'une série de concerts organisés l'après-midi par Daniel Humair. La rumeur avait couru que "Philly Joe" Jones y participerait. Il accompagnait alors le clarinettiste Tony Scott. La  foule des grands jours se pressait à l'ouverture de la salle prêtée par le Musée, à peine assez grande pour accueillir tout ce monde. Il n'y avait bientôt  plus aucune  place et je me retrouvais, je ne sais comment, assis par terre, à quelques centimètres de la caisse claire de Philly Joe.

Le set débuta avec un peu de retard, et ce fut tout à coup venu de la batterie comme un soudain  orage de caisses percutées et d'éclairs de cymbales. Les coups pleuvaient, assénés de haut, d'une précision extrême, à la fois rapides et comme au ralenti. Encore aujourd'hui, je ressens encore comme si c'était hier, l'incroyable impression physique procurée en direct par le jeu de Philly Joe Jones, dans toute sa dynamique et l'intensité de sa  projection acoustique.

Malgré l'inévitable filtre de  l'enregistrement , les disques parviennent à en donner une idée plus ou moins approchante, à commencer par mon favori, l'indispensable "Workin" du quintet historique de Miles Davis, avec Coltrane. On l'y entend introduire  à sa manière explosive, "Half Nelson", triomphant emblème be-bop, sur les harmonies du "Lady Bird" de Tadd Dameron. Dans "Trane's blues" la prise de son de Rudy Van Gelder restitue à la perfection  dans toute sa brillance et sa richesse spectrale l'attaque de la grande cymbale ride de  Philly Joe Jones  quand il y entretenait l'imperturbable et sublime pulsation dont  il avait le secret en tempo medium.



La plage en trio, "Ahmad's blues", après un l'exposé du thème  introduit sur un shuffle de "high hat" mi ouverte, donne lieu à une série de formidables échanges piano/batterie en quatre-quatre, tant aux baguettes que pour finir aux balais, dans l'usage desquels  Philly Joe démontre sa  maîtrise inégalée.

Tout aussi recommandable pour ressentir tout l'impact et l'intensité du drumming de PJJ, on retrouve cette section rythmique, celle là même de Miles  Davis, en accompagnement du saxophoniste californien Art Pepper, dans l'un de ses meilleurs disques. Il s'intitule d'ailleurs comme il se doit  "Art Pepper meets the Rhythm Section". Impossible de choisir entre aucune des plages en particulier , elles sont toutes au plus haut niveau, de "You'd be so nice to come home to", à "Star Eyes", en passant par un magnifique "Tin tin Deo".




Il ne faudrait pas oublier qu'en dehors de son rôle de sideman l'un des plus sollicités sur la scène New-yorkaise des années 50-60, avec plus de deux cent disques à son actif, Philly Joe Jones a été également en tant que leader l'artisan de superbes  albums, dont un de mes préférés, Showcase, avec en photographie sur la couverture, Philly Joe en personne derrière sa fameuse batterie Gretsch, la marque fétiche des plus grands batteurs de l'époque, d'Art Blakey à Elvin Jones, en passant un peu plus tard par  Tony Williams.


Philly Joe Jones est aussi connu pour l'admiration qu'il portait à Tadd Dameron, dont j'ai déjà évoqué la figure  dans ce blog. Il y consacra deux fort beaux disques, avec une formation intitulée "Dameronia", longtemps introuvables, et fort heureusement réédités récemment sous le label Uptown.