Ce beau texte d'Alain Gerber à propos de Philly Joe Jones au "Chat qui pêche" à la toute fin des années soixante, est extrait de ses "Balades en Jazz". Il se trouve que j'eus mois aussi à cette époque l'occasion de vivre semblable expérience , à l'écoute rapprochée de la batterie de "Philly Joe" Jones, l'un des plus prodigieux batteurs de toute l'histoire du jazz.
Philly Joe Jones par F.Wolff
Cela se passait au Musée d'Art moderne, lors d'une série de concerts organisés l'après-midi par Daniel Humair. La rumeur avait couru que "Philly Joe" Jones y participerait. Il accompagnait alors le clarinettiste Tony Scott. La foule des grands jours se pressait à l'ouverture de la salle prêtée par le Musée, à peine assez grande pour accueillir tout ce monde. Il n'y avait bientôt plus aucune place et je me retrouvais, je ne sais comment, assis par terre, à quelques centimètres de la caisse claire de Philly Joe.
Le set débuta avec un peu de retard, et ce fut tout à coup venu de la batterie comme un soudain orage de caisses percutées et d'éclairs de cymbales. Les coups pleuvaient, assénés de haut, d'une précision extrême, à la fois rapides et comme au ralenti. Encore aujourd'hui, je ressens encore comme si c'était hier, l'incroyable impression physique procurée en direct par le jeu de Philly Joe Jones, dans toute sa dynamique et l'intensité de sa projection acoustique.
Malgré l'inévitable filtre de l'enregistrement , les disques parviennent à en donner une idée plus ou moins approchante, à commencer par mon favori, l'indispensable "Workin" du quintet historique de Miles Davis, avec Coltrane. On l'y entend introduire à sa manière explosive, "Half Nelson", triomphant emblème be-bop, sur les harmonies du "Lady Bird" de Tadd Dameron. Dans "Trane's blues" la prise de son de Rudy Van Gelder restitue à la perfection dans toute sa brillance et sa richesse spectrale l'attaque de la grande cymbale ride de Philly Joe Jones quand il y entretenait l'imperturbable et sublime pulsation dont il avait le secret en tempo medium.
La plage en trio, "Ahmad's blues", après un l'exposé du thème introduit sur un shuffle de "high hat" mi ouverte, donne lieu à une série de formidables échanges piano/batterie en quatre-quatre, tant aux baguettes que pour finir aux balais, dans l'usage desquels Philly Joe démontre sa maîtrise inégalée.
Tout aussi recommandable pour ressentir tout l'impact et l'intensité du drumming de PJJ, on retrouve cette section rythmique, celle là même de Miles Davis, en accompagnement du saxophoniste californien Art Pepper, dans l'un de ses meilleurs disques. Il s'intitule d'ailleurs comme il se doit "Art Pepper meets the Rhythm Section". Impossible de choisir entre aucune des plages en particulier , elles sont toutes au plus haut niveau, de "You'd be so nice to come home to", à "Star Eyes", en passant par un magnifique "Tin tin Deo".
Il ne faudrait pas oublier qu'en dehors de son rôle de sideman l'un des plus sollicités sur la scène New-yorkaise des années 50-60, avec plus de deux cent disques à son actif, Philly Joe Jones a été également en tant que leader l'artisan de superbes albums, dont un de mes préférés, Showcase, avec en photographie sur la couverture, Philly Joe en personne derrière sa fameuse batterie Gretsch, la marque fétiche des plus grands batteurs de l'époque, d'Art Blakey à Elvin Jones, en passant un peu plus tard par Tony Williams.
Philly Joe Jones est aussi connu pour l'admiration qu'il portait à Tadd Dameron, dont j'ai déjà évoqué la figure dans ce blog. Il y consacra deux fort beaux disques, avec une formation intitulée "Dameronia", longtemps introuvables, et fort heureusement réédités récemment sous le label Uptown.
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