jeudi 24 septembre 2020

Le quintet de Fabien Mary et David Sauzay à l'Osons Jazz Club de Lurs

L’Osons Jazz Club, à Lurs en Haute Provence, samedi 19 septembre. Les portes du club s ‘ouvrent. L’espace a été réaménagé, préservant un espace suffisant entre les tables, mesures sanitaires obligent au prix d’une réduction de moitié de l’effectif du public, qui avait inauguré le nouveau système de réservation en ligne.


Vingt et une heures. Philippe Balin, le maître des lieux prononce quelques mots de bienvenue, se félicitant de la reprise d’activité malgré les difficultés du moment avant que Fabien Mary, David Sauzay, Yves Brouqui, Fabien Marcoz et Stéphane Chandelier ne montent sur la petite scène surélevée. 


Pas d'ostentation, une gestuelle mesurée, mince et élégant dans son costume-cravate, Fabien Mary annonce au micro un programme constitué de thèmes datant pour la plupart des années soixante et dont les amateurs savent à quel point elle furent un âge d'or pour le jazz. En quelques claquements des doigts le tempo est donné avec l’assurance éprouvée du métier. 



Ça démarre vite et fort en ouverture du premier set avec « Quittin’ Time » un thème énergique et typiquement hardbop du saxophoniste Clifford Jordan prestement et interprété dans l’esprit de la version originale. Elle provient de l’album Jazzland JLP 52 où se font entendre Kenny Dorham, à la trompette, Cedar Walton au piano, Wilbur Ware à la basse et Albert « Tootie » Heath à la batterie. 



Pour suivre, « Pedro’s time », thème de Kenny Dorham, est une sorte de blues à la structure modifiée, alternant de façon ingénieuse un rythme chaloupé sur un motif afro cubain et la pulsation des mesures en 4/4. On peut l’écouter sur « Our Thing » (BST84152) le  deuxième album du saxophoniste Joe Henderson pour Blue Note.



« That Ole Devil Called Love » est une chanson écrite en 1944 par Allan Roberts et Doris Fisher. Elle fut interprétée par Billie Holiday et dans une belle reprise par Chet Baker. Fabien Mary y démontre avec une exquise sensibilité toute sa maitrise de la balade, art subtil.



Le quintet enchaîne sur « Stupendous Lee », une des composition du trop méconnu Gigi Gryce, à la saveur si caractéristique pour qui est familier de ses albums Prestige ainsi que des sessions parisiennes du grand Clifford Brown. La encore, élégance, mise en place impeccable et swing au rendez-vous. On la trouve sur l’album Prestige 7085 enregistré en 1955 et intitulé « When Farmer Meets Gryce »



Le premier set se conclut  avec « Capers », composition de Tom McIntosh présente entre autres dans « The Cup Bearers », un album du label Riverside enregistré en 1962 et publié l’année suivante sous la référence RS 9439 par cette autre grande figure trop méconnue de la trompette hardbop qu’est Blue Mitchell.


En introduction du deuxième set on restera dans l’esprit des grandes sessions Riverside avec « Prospecting », un thème de Jimmy Heath dans  l’album « Triple Threat » (RLP 400) où brillent ses deux frères, Percy à la basse et Albert à la batterie, Cedar Walton au piano ainsi que pour compléter la front line dans une formule originale la trompette de Freddie Hubbard et le cor anglais de Julius Watkins.



Avec « Strollin », célèbre thème de Horace Silver souvent joué et sans doute le plus connu dans l’assistance c’est tout le confort d’un tempo médium décontracté, et l’occasion pour David Sauzay de prendre un chorus chaleureux, autant par sa claire articulation que par un timbre  de saxophone d’une belle ampleur à la fin duquel les plus attentifs n’auront pas manqué une  citation du « Good Bait » de Tadd Dameron. On trouvera la version originale sur l’excellent album Blue Note BST 84042 intitulé « Horace-Scope » 



« Lowland Lullaby » est à nouveau une composition de Jimmy Heath, présente sur son troisième album enregistré pour Riverside en 1963 , intitulé « The Quota » sous la référence RLP 372 avec la même formation que « Triple Threat ». On saura  gré à Fabien, David et leurs amis d’avoir rendu ainsi rendu hommage à « Little Bird », ce merveilleux maître du saxophone ténor, improvisateur, compositeur et arrangeur unanimement respecté qui nous quitta en janvier dernier.



« Laura » est une plus belles mélodies dont vinrent s’emparer les jazzmen. Composée en 1945 par David Raskin pour le film éponyme avec Gene Tierney, elle en est le leitmotiv musical. Tous les  plus grands en donnèrent leur version, de celle, sublime, de Charlie Parker à Clifford Brown, Don Byas ou Dexter Gordon. 



David Sauzay nous donne la sienne, moment suspendu d’une belle ampleur sonore et superbement accompagné à la guitare par  Yves Brouqui, expert du jeu en accords à la Wes Montgomery et passionnant en solo tout au long des deux sets.


Fabien Mary annonçe alors  la composition d’un pianiste réputé obscur, quelque part entre Monk et Bud Powell. Herbie Nichols ? Non c’est de Elmo Hope qu’il s’agit dans un thème au profil rythmique singulier, intitulé « Nieta ». Curieusement on n’en connait qu’un arrangement par Elmo Hope sur l’album « Harold In The Land of Jazz » (Contemporary C3550) où la partie de piano n’est pas tenue par ce dernier mais par Carl Perkins. A  l’Osons, le quintet fera son affaire sans encombre d’un thème original et piégeux.


« The Fox » est une autre composition de Kenny Dorham, un morceau de bravoure,  annonce Fabien Mary, ce qui n'est est pas peu dire compte tenu de la virtuosité requise à ce tempo. Pour autant les lignes mélodiques restent d’une exemplaire clarté, étonnamment lisibles et déliées pour Fabien Mary, suivi par un David Sauzay en mode turbo, ébouriffant de technique tout au long  de son solo. Les échanges finaux sont  d’une belle précision entre eux deux et Stéphane Chandelier, percutant et inventif à la batterie. « The Fox » est la quatrième plage de la première face de l’album Blue Note « Trumpeta Toccata » de Kenny Dorham sous la référence BST 84181.




Le deuxième set touche à sa fin. Fabien Mary rappelle que cette année marque le centième anniversaire de naissance de Charlie Parker. Ce sera donc pour conclure avant le rappel « Passport », un blues typiquement bebop enregistré en 1950 


Il est près de minuit et le concert se termine en rappel avec « Saucer Eyes » la composition de Randy Weston dont le premier enregistrement fut effectué par Cecil Payne et Kenny Dorham en 1956 sous le titre « Patterns of Jazz ». Ce très bel album qui parut d’abord sous le label Signal fut réédité sous étiquette Savoy (Savoy MG 12147). 



Il fut un temps où le public de l’Olympia  exultait quand  les Jazz Messengers attaquaient « Are You Real » avec Lee Morgan et Benny Golson dans le grondement de tambours de leur charismatique leader Art Blakey. Ce jazz là était puissant, construit, inspiré et généreux, tout en restant communicatif au profane, plein d’âme pour tout dire. A l’Osons ce soir là il était de retour, avec la formation de Fabien Mary et de David Sauzay, et ses  instrumentistes de haut vol, qui dés les  années quatre-vingt dix avaient fait le pari à contre-courant de lui redonner tout son éclat.