samedi 15 décembre 2012

Youtube, Yi King, Ali Baba, Frank Zappa...et perle fausse

Abordons une fois de plus le sujet de Google et donc accessoirement de Youtube depuis son rachat par le précédent !.. Avez vous une idée de ce que cela représente rien qu'en termes de puissance informatique brute ?  C'est tout simplement impressionnant, il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'oeil à cette séquence filmée, ou l'on entrevoit l'infrastructure nécessaire à l'évacuation de la chaleur  dissipée par les ordinateurs du géant mondial de l'indexation, soit au moment du tournage, quarante cinq mille serveurs et 10 méga watts de puissance consommée.



Effectuer une recherche un peu au hasard de ses associations d'idées sur Google ou Youtube c'est un peu comme  lancer une pièce au Yi King, le jeu divinatoire chinois, on y trouvera toujours une réponse pour faire sens. On peut voir aussi en Google/Youtube  une gigantesque caverne virtuelle d'Ali Baba (et des quarante voleurs). Encore un petit exemple ce matin. Il m'était revenu à l'esprit un de mes souvenirs les plus marquants, celui d'avoir eu le privilège d'écouter en direct le quintette  historique d'Archie Shepp, celui des deux disques Impulse avec Roswell Rudd et Beaver Harris, les fameux "Mama too Tight" et  "Live in San Francisco",  présenté par André Francis à la maison de l'ORTF. 




C'était en décembre 1967 et il y avait dans la salle ce soir là, Ted Joans, poète malheureusement un peu, sinon tout à fait oublié, et chantre tout entier voué à la célébration de la "great black music". Il monta sur scène au milieu  du concert pour y déclamer deux de ses poèmes. 


J'avais  retrouvé le premier,  "Jazz is my religion", sur un  CD qui ne doit plus beaucoup courir les rues aujourd'hui. Le second, "Jazz must be a woman", n'a pas été repris sur cette édition, sans doute pas très officielle et je l'ai cherchée longtemps en vain, y compris sur internet. Il s'agit d'une énumération swinguée du nom de tous les géants du jazz, simplement accompagnée de la walking bass de Jimmy Garrison. Magnifique, tout simplement, et très émouvant pour un fou de jazz dans mon genre.

Or ce matin un petit tour sur  Google/Youtube et hop... voici la chose (désolé je n'ai pas eu le temps de faire le papier cadeau) : 


Magnifique vous disais-je, normalement si vous aimez vraiment le jazz, les larmes devraient vous monter aux yeux, comme à chaque fois que j'écoute et réécoute cette formidable litanie! Soit-dit en passant la vidéo n'a été pour l'instant consultée que 283 fois, c'est dire, et je compte sur mes innombrables lecteurs :-)  pour booster le score.

On trouve bien  bien sur le site de l'I.N.A un concert d'Archie Shepp au studio 104, excellent au demeurant, mais ce n'est pas le bon, il a été enregistré bien plus tard,  le 23 mars 1974, avec Siegried Kessler et Noel McGee (qu'est-il devenu depuis au  fait?) à la batterie. Messieurs de l'I.N.A. encore un petit effort s'il vous plaît !..

Comme toujours en ce cas Youtube propose d'autres vidéos en rapport. A ma stupéfaction (les vrais amateurs me comprendront)  je tombe sur ceci: (attention, si vous voulez profiter ne serait-ce que de l'intro de basse, un écoute avec l'ordinateur relié à la chaîne hifi s'impose)

Le rarissime, du moins sous nos latitudes, Buddy Collette dans une émission TV de KPBS-TV à San Diego:



Le posteur ou l'imposteur m'intrigue. Il se fait passer pour un mystérieux Sheik Yerbutti.


Il a donc mis en ligne 61 vidéos. Quelques unes sont d'inestimables trésors, dont je n'avais pas eu connaissance jusqu'alors. En puisant au hasard :

Terry Gibbs, Buddy de Franco, du même producteur californien (Paul Marshall):


Herb Hellis en club:


encore plus fort, Conte Candoli, Carl Fontana, Teddy Edwards,  Pete Jolly, Joe La Barbera à Stuttgart Jazzopen en 2001,  ( il s'agit d'un concert diffusé sur Mezzo, ce qui pose problème et je suis naturellement prêt à retirer le lien à la première demande. Il y a tout lieu de penser que celui-ci sera d'abord supprimé de Youtube au besoin. Une autre façon de voir les choses serait de voir en ceci une bonne publicité incitant tout amateur de jazz à s'abonner, comme je le suis, à cette excellente chaîne, qui tranche sur la médiocrité télévisuelle dominante. Voir toutes les nombreuses considérations  à ce sujet sur ce blog ) :


Joe de Francesco trio au Bern Festival:



et enfin le summum, à mon goût,  la perle des perles, [MAJ la perle était fausse, voir fin de ce billet] il s'agit d'une captation inédite à ma connaissance, en club avec Hampton Hawes, son excellent batteur attitré à l'époque, Chuck Thomson, élève de Frank Butler et dont c'est sûrement l'unique image filmée, Sonny Criss, Harry "Sweets" Edison, ainsi que le merveilleux, si injustement méconnu, Teddy Edwards:


Pour une raison inconnue, je ne suis pas parvenu à intégrer le preview dans la page, mais vous n'aurez qu'à cliquer sur le lien et passer en plein écran une fois dans Youtube.

(NdR) J'ai fini par comprendre pourquoi. En tentant de contourner l'obstacle dans le code de la page j'ai obtenu ceci. CQFD.



"Sheik Yerbuti" a posté ce commentaire  au sujet de sa vidéo, malheureusement incomplète:

Publiée le 17 juil. 2011
Killer, blues-drenched set filmed at the Memory Lane Club, Los Angeles, CA, in January, 1970 featuring the great Hampton Hawes on piano surrounded by Harry "Sweets" Edison on trumpet, Sonny Criss on alto sax, Leroy Vinnegar on bass and Bobby Thompson on drums. Blues shouter Big Joe Turner and tenor giant Teddy Edwards join in to share some stage fun, as if satisfaction wasn't already more than guaranteed.

1. Memory Lane Blues
2. Blues For J.L.
3. Feeling Happy
4. Shake, Rattle And Roll
5. Teddy's Blues

En poursuivant la recherche, on trouve deux autres extraits de la même session, et sur ceux-ci on entend en effet en prime, comme promis, Big Joe Turner:




J'apprends pour finir sur Google que Sheik Yerbutti n'est autre que le titre éponyme d'un album de Frank Zappa, publié le 3 mars 1979 sur Zappa Records, ce que j'ignorais. 

Amusant clin d'oeil donc d'un amateur  pointu, qui mériterait qu'on lui élève une statue en reconnaissance de sa contribution au bonheur de ses coreligionnaires, à moins que ceux-ci n'aient un jour à devoir lui envoyer des oranges en quelque cachot de la police de l'Internet.


PS. A la relecture, et après m'être beaucoup amusé à peaufiner ce billet, il me vient la réflexion suivante, qui m'amène à quelque peu tempérer mon enthousiasme initial, suite à la découverte de ces quelques petits bijoux de jazz enregistré. En évoquant Ali Baba ou le Yi-King, j'ai sans doute un peu vite cédé au fantasme de la malle au trésor. J'aurais pu tout aussi bien dans ce registre filer au sujet d'Internet, la métaphore de la corne d'abondance, du pays de cocagne, que sais-je encore...


En un sens c'est vrai qu'on peut avoir ce sentiment en surfant un peu au hasard, d'accéder à une ressource inépuisable en tous domaines. Mais il faut bien redescendre sur terre et se dire que si celle-ci est abondante, elle n'est en rien illimitée. Comme tout en ce monde, l'internet, création de l'intelligence humaine est également lacunaire ou déficient par nature. Et il y bien loin de la bibliothèque infinie de Borges à Wikipédia, avec son lot inévitable d'erreurs factuelles, d'oublis ou de parti-pris.


Par ailleurs et au risque d'extrapoler un tantinet, on aura beau surenchérir sur les mégaflops et les péta-octets, et faire s'approcher autant qu'on veut nos intelligences artificielles de l'idéal leibnizien d'une caractéristique universelle, visant in fine au projet encyclopédique d'une langue susceptible d'exprimer tout ce qu'on peut savoir sur tout, "de omni re scibili et quibusdam aliis" (de toutes les choses que l'on peut savoir et de quelques autres) selon la célèbre expression de Pic  de la Mirandole, il restera toujours la part d'ombre, d'approximation et d'ignorance.



Et surtout  enfin, des mots aux choses, la carte n'est pas le territoire. Un seul exemple: on pourra passer en vain le temps qu'on veut sur Google pour retrouver un témoignage filmé de ce qui reste j'en ai la conviction certaine, la plus grande formation de jazz de tous les temps, le premier Miles Davis Quintet avec John Coltrane, Red Garland, Paul Chambers, et "Philly"Joe Jones. 1955 (j'avais cinq ans) , ce n'est quand même pas si ancien, et les caméras existaient depuis longtemps. Sans machine à remonter le temps, cette mémoire là est jusqu'à nouvel ordre, pour toujours perdue.

[MAJ ] Ooops !.. Je n'avais pas suffisamment cherché sur Google! Et je découvre que la perle n'était pas si rare, elle était même fausse, résultant du vulgaire piratage d'un DVD commercialisé.



On le trouve ici  sur Amazon.fr , s'il vous a plu, achetez-le, c'est d'ailleurs ce que je viens de faire, au moins vous l'aurez au complet et  il y a peut-être une chance, du moins je l'espère qu'une partie des sous  (*) revienne à la famille de Teddy Edwards. Et tant que vous y êtes, achetez aussi ceci:


C'est un très beau et très émouvant témoignage sur Teddy Edwards de son vivant, on l'entend jouer et quelque peu désabusé, parler de sa vie, qui ne fût jamais celle du grand saxophoniste renommé, qu'il aurait tellement aimé et mérité d'être, à l'instar d'un Sonny Rollins ou même simplement d'un Dexter Gordon.

(*)  Enfin pour les sous c'est une façon de parler, tant on le trouve  littéralement bradé, 14 exemplaires neufs au prix ridicule de trois dollars ici sur le site américain d'amazon.

[MAJ] On apprend à la lecture du dernier numéro de Jazzmagazine /Jazzman, précisément consacrée à au génial Frank Zappa,  que Sheik  Yerbouti fait référence à l'expression "Shake Yer Booty", autrement dit "Secouez vot' popotin". Etonnant, non ?

Je vous renvoie donc à ce numéro passionnant et fort bien fait comme toujours.


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