jeudi 15 septembre 2016

En hommage à Toots Thielemans, un poème de Jean-Jacques Pinto

Avec « Louie », « Charlie », « Lester Young », « Chet », « Clifford Brown, le roman d'un enfant sage », « Miles Davis », « Bill Evans », « Jack Teagarden : Pluie d'étoiles sur l’Alabama », « Frankie, le sultan des pâmoisons », « Paul Desmond ou le côté féminin du monde », ainsi que « L’étrange destin de George Général JR. dit Gigi Gryce » dont on trouvera ici le compte rendu sur ce blog, on doit à Alain Gerber d’avoir inventé le genre littéraire du roman de jazz sur le mode de la fiction autobiographique.  



Mon ami Jean-Jacques Pinto pourrait bien pour sa part avoir inauguré celui du poème de jazz. La disparition récente de Toots Thielemans lui a donné l’inspiration de composer un très bel hommage versifié que le Coeur qui Jazze est heureux de publier avec sa permission.




À Jean-Baptiste “Toots” Thielemans, guitariste et harmoniciste de Jazz

Quatre-vingt quatorze ans : tu t’endors, Jean-Baptiste.
Le monde musical s’éveille un peu plus triste
Une semaine après qu’un vibrant vibraphone
De Jazz aussi s’est tu : vous saviez, toi et lui
Faire sonner vos lames, et résonner nos âmes
De mélodique swing. Oui, Bobby Hutcherson
Et toi, en ce mois d’août, nous laissez dans la nuit
D’une planète folle à ses excès livrée,
Alors que vous montez là-haut, dans l’Empyrée 
Où brillent les « All Stars » : Musical Hall of Fame… 

Tu tètes... Louis Armstrong, t’abreuves de Django 
Reinhardt, par qui te vient l’amour de la guitare. 
Puis les States — où tu croises Hank Jones et Tristano — 
Te mettent dans le cœur ce qui t’attend plus tard :  
Un parcours où le souffle prendra le relais 
Des doigts qui sur le manche ont déjà du talent, 
Puisque suivre Goodman est... l’occasion Benny 
Pour lancer ta carrière ! Et tu côtoies les grands : 
George Shearing, Eldridge et Zoot Sims, sans parler 
Du groupe de Charlie Parker (Philadelphie) ! ! ! 

Lena Horne — et son chant, que tu accompagnas, 
Te donna-t-elle envie d’utiliser ta bouche 
Pour siffler les chorus que tes doigts sur la touche 
Improvisaient ? De là, l’harmonica ? 
Non, car tu en jouais déjà pendant la guerre : 
Son beau timbre, qu’un film noir t’avait fait goûter, 
Et son petit volume alors te décidèrent : 
Ce serait ton saxo de poche, à emporter 
Partout, pour que l’idée mélodique impromptue
Puisse être à tout instant sur lui réalisée ;
Non seulement les thèmes au lignes élégantes
Mais aussi les impros, inspirées et swinguantes !
Tout cela sous-tendu par une oreille aiguë,
Formée aux intervalles, aux accords délicats...
Car c’est une évidence pour qui te connaît,
“Toots”, que tu as toujours fait de l’harmonie... cas !

Ray Bryant, Kenny Drew, puis George Arvanitas
Au piano t’accompagnent : avec eux, tes albums
Font connaître au public le soliste de classe
Que tu es devenu sans user du… piston
— À part celui qui sert à fair’ les demi-tons !
Sis sur ton tabouret, tel un lutin, un gnome,
Sur la scène tu es… prestidigitateur,
Car, soufflant dans ta main, tu nous fais apparaître
Les rubans colorés, pleins de mille couleurs,
De tes phrases tantôt alertes, stimulantes, 
Tantôt énamourées, douces et caressantes,
Venant nous émouvoir au profond de notre être…

T’avait-il inspiré ? La même année, plus tôt*, . . . . . . . . . . . . . .*en 1962
« Le Jazz et la java » de Claude Nougaro
Mêlait dans ses paroles les deux adversaires… 
Toi, faisant la synthèse entre “Blues” et “musette”,
Tu nous crées ce chef-d’œuvre intitulé « Bluesette »
Qui, lié à ton nom comme le Boléro
À celui de Ravel, fait le tour de la Terre !
C’est deux années plus tard qu’à la télévision
J’assiste, émerveillé, à une prestation
Où quatre musiciens — ce sont Elek Bacsik,
Sacha Distel, Boulou Ferré, Baden Powell —
Prennent un grand plaisir à jouer ta compo…
J’en ai depuis harmonisé le thème, et elle
Figure en bonne place à mes concerts publics. 

Si nombreux ont été tes exploits par la suite
Qu’on n’en peut parcourir ici les références !
… On a pu voir rimer Thielemans et Evans
— Bill — dans « Affinity », en soixante dix-huit,
Avec Larry Schneider et Marc Johnson. Batteur :
Zigmund — Eliot, pas Freud ! ! ! Bête plaisanterie !
… Avec le Shirley Horn Trio : « For my lady » ;
… Le Brésil tout entier t’invite, quel bonheur,
Dans « The Brasil Project » ; … et même au cinéma
Se savoure le son de ton harmonica.
J’ai eu, un jour d’antan, l’inestimable chance
De te voir en concert, Toots, à Aix-en-Provence,
Seul face à un big band : comme en un concerto,
Tu donnais la réplique à trombones et saxos,
Et sur ton tabouret tu te balançais tant
Qu’on a craint que tu tombes, emporté par l’élan
De tes phrases lyriques, ou rythmiques, selon
Que ballade ou bien Blues en notes tu racontes…
Le Jazz avait déjà son Roi, son Duc, son Comte
Et toi, Toots, anobli, tu en es... le Baron !

Ton dauphin, que tu as toi-même intronisé,
Est digne assurément de prendre la relève :
Olivier Ker Ourio, qui en valeur a mis
De Wiener l’émouvant « Touchez pas au grisbi »,
A, de cet instrument initiateur de rêves,
Après toi, GRÂCE À TOI, retrouvé le secret.
Emmenez-nous tous deux voler dans les éthers,
Oublier avec vous les soucis de la Terre !
Nous, public enchanté, profane ou musicien,
Voulons dans votre avion, pour notre plus grand bien,
Monter, et décoller, et parcourir ce ciel
Musical, à nos corps et âmes* essentiel . . . . . . . . . . . . . . . .« Body and soul » !
Et, ce club aérien, y passer des nuits blanches,
Crier « En avant Toots ! ». Et toi Toots, Tiens-le-manche !

Jean-Jacques Pinto, ce 22 août 2016

© Jean-Jacques Pinto 2016. Tous droits réservés.

        

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