mercredi 30 mars 2011

Le coup de maître de Jimmy Cobb

Le billet du jour a pour objet une mesure, une seule, dans le légendaire "Kind of Blue" de Miles Davis que je tiens sans la moindre hésitation pour  le premier disque à acquérir si l'on voulait commencer à se constituer sa discothèque de jazz.


Cette mesure donne à entendre un coup, un seul, du batteur Jimmy Cobb, sur sa cymbale "crash", accentué de la grosse caisse, très exactement à la fin de l'introduction de "So What". Ce coup est un coup de maitre. Je reprends là l'expression de Georges Paczinsky, ainsi que l'essentiel de son analyse,  dans le volume deux de sa monumentale histoire de la batterie de jazz (1).

Qu'à donc de si particulier ce bref instant de musique ? Le sextet de Miles Davis  (John Coltrane, Cannonball Adderley, Bill Evans, Paul Chambers, Jimmy Cobb), achève l'exposé "de So What". Le  thème  de trente-deux mesures, reposant sur seulement deux accords  deviendra emblématique du jazz dit modal.  Le batteur Jimmy Cobb vient de jouer l'intro doucement, aux balais, quand soudain, au premier temps de la première mesure du chorus de Miles Davis, sa baguette écrase littéralement la cymbale gauche, sur un coup de grosse caisse.

A défaut de le paraphraser, je ne peux faire mieux que citer  Pacszynski lui-même:

"L'exposition du thème s'achève. Arrive maintenant un moment exceptionnel: Jimmy rompt le rythme de la cymbale à la dernière mesure du thème et assène avec une baguette un coup sur la cymbale crash accompagnée de la grosse caisse sur le premier temps de la première mesure qui ouvre l'improvisation. Toutes les qualités musicales de Jimmy pourraient se résumer à ce coup qui restera dans la batterie comme un coup de maître: sa préparation dans la mesure précédente est discrète, puis arrive le coup lui même;  qui témoigne d'un geste magnifiquement relâché; la mise en place est rigoureuse; la cymbale  remplit l'espace avec une rondeur sans égale. L'effet produit est d'autant plus extraordinaire que la sonorité de la cymbale crash se prolonge pendant un moment tout en se perdant progressivement. Au même moment, comme par miracle, s'élève un autre son de cymbale -une cloutée- sur laquelle Jimmy phrase son cha-ba-da merveilleux en communion avec la superbe walkin' bass de Paul. Bill, dans l'ombre égrène quelques accords au  piano. Sur le sommet de l'édifice, Miles amorce lentement, avec peu de notes et des silences, son premier chorus"

L'analyse elle même est magistrale. Que dire de plus, sinon que c'est à ces instants qu'on peut mesurer tout ce qui fait la grandeur du jazz ?

Il ne me reste plus qu'à vous renvoyer à la musique même.

(1) Une histoire de la batterie de jazz. Tome 2. Les années Bebop, la voie royale et les chemins de traverse. Georges Paczynski. Editions Outre Mesure (2 ème édition. 2000)



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