dimanche 27 mars 2011

Jimmy Heath. On the trail

Dans mon billet précédent j'évoquai ces disques qui en quelque sorte se bonifient avec le temps, méconnus lors de leur sortie, mais  qui deviennent  culte pour les happy few qui les connaissent. "On the trail", du saxophoniste Jimmy Heath, enregistré en 1964 à New York, est de ceux-là. On l'entendait déjà avec Blue Mitchell et  il  semble exister  sur le plan humain et musical, une grande affinité entre les deux hommes si l'on s'en tient au nombre de sessions dans lesquelles il apparaissent ensemble.



Les Heath, Jimmy, Albert et Percy sont trois frères, et le batteur de la session est Albert, (Percy est quant à lui un bassiste de tout premier plan, pilier entre autres du Modern Jazz Quartet) . Ici le soutien à la basse est  assuré par Paul Chambers, grande figure de la contrebasse que l'on retrouve dans  énormément de sessions de l'époque, tant il était sollicité, pour d'évidentes raisons, ampleur, profondeur du son et "groove" puissant au service du soliste.

Le disque commence par le thème éponyme, "On the trail" dont je m'étais toujours demandé d'où il provenait, et composé par un certain Ferdé Grofé. J'ai fini par apprendre  (merci google et Wikipédia) que Ferdé Grofé était un pianiste et compositeur américain (1892-1972), et qu' "On the trail"  faisait partie d'une suite symphonique intitulée "Grand  Canyon" datant de 1931. Je suis même allé jusqu'à me procurer l'album publié par Naxos ou l'on trouve l'original, et qui est en effet une vaste évocation musicale des grands espaces de l'ouest américain. La musique y est d'une belle ampleur, et son ambition descriptive ravira les amateurs de (très belles) musiques de film.


L'intro de la  version jazzée de Jimmy Heath reste  fidèle dans l'esprit à cette impression de nonchalance paisible et décontractée propre  au thème original, censée évoquer avec un peu d'imagination la progression cahotante sur la piste du chariot des pionniers. Dés la fin de l'exposé du thème, l'improvisation reprend  ses droits après le break, qui permet au saxophoniste de se lancer dans  un chorus d'une intense effervescence,  propulsé par  une section rythmique  tournant   à plein régime.

Les autres thèmes incluent  "All the things you are", support d'improvisation de prédilection  pour les musiciens du be-bop, deux très belles ballades, au feeling nostalgique et poignant, "I should care" et "Vanity", une célèbre composition de Jimmy Heath, "Gingerbread Boy" reprise par Miles Davis dans son "Miles smiles", et pour finir deux compositions originales à la cambrure typiquement hard bop comme je les aime, "Cloak and dagger" et "Project  S".  Du fait de son instrumentation sans doute, et de la présence de Paul Chambers et de Kenny Burrell, je  retrouve tout à fait dans cette séance l'esprit qui préside à cette autre référence absolue  de la discographie qui vit s'associer pour Prestige  ce même  Kenny Burrell et un certain John Coltrane.



Rien n'est plus instructif qu'une écoute comparée de ces  deux enregistrements pour mettre en évidence à  la  fois la proximité manifeste  et les traits distinctifs du style de chacun des deux saxophonistes. Entre autres choses et sans même parler du phrasé, là où le son de Coltrane est plein et dense, celui de Jimmy Heath possède une sorte de grain caractéristique, un je ne sais quoi d'impalpablement texturé, de "crénelé" , (bizarrement je ne trouve pas d'autre mot), qui a toujours été la marque de son individualité. On touche d'ailleurs là à la fois à cette évidence et ce mystère du jazz, où la singularité  d'un corps passe entièrement dans la musique, la rendant entièrement spécifique et inimitable.

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