vendredi 16 septembre 2016

Wes, en vers et contre tout... (Un poème de Jean-Jacques Pinto)

POÈME À WES



Acrostiches : JOHN LESLIE "WES" MONTGOMERY

Qu'on me passe la hardiesse de la licence poétique du premier vers, et la rime interne à l'hémistiche du dernier vers, puisqu'il est impair)


J'avois seize ans à peine et n'aimois point le "Jozz"
On jouait du Yéyé, les Beatles, les Shadows ...
Hormis Elek Bacsik avec son Blue Rondo,
Nul jazzman ne m'avait imposé son credo.
Le batteur de mon groupe un jour me fit ouïr
En aparté un son dont le seul souvenir
Suffit à raviver l'émoi qui fut le mien,
Le son qui escorta désormais mon destin :
Il s'agissait de Wes, au meilleur de sa forme,
Et peu de temps, hélas, avant qu'il ne s'endorme.
Wes réinventa tout, parfait autodidacte,
Et son sens du phrasé, il le mettait en acte,
Surprenant d'invention, mais toujours mélodieux.
Mimant tout un orchestre, il mêlait dans son jeu
Octaves, riffs de Blues et chorus en accords.
Nul rival n'aurait pu le surpasser alors
Tant il avait de punch, de talent, de brio !
Guitare ? ou saxophone ? ou trompette ? ou piano ?
Ou voix scattant, swinguant ? La question se posait ...
Maintenant il est loin, mais nous a tant légué !
Et Benson, Ritenour, Martino, Metheny
Reprennent le flambeau du modeste génie.
You're the best forever, tu restes le meilleur !


© Jean-Jacques Pinto, 2009. Tous droits réservés.


jeudi 15 septembre 2016

En hommage à Toots Thielemans, un poème de Jean-Jacques Pinto

Avec « Louie », « Charlie », « Lester Young », « Chet », « Clifford Brown, le roman d'un enfant sage », « Miles Davis », « Bill Evans », « Jack Teagarden : Pluie d'étoiles sur l’Alabama », « Frankie, le sultan des pâmoisons », « Paul Desmond ou le côté féminin du monde », ainsi que « L’étrange destin de George Général JR. dit Gigi Gryce » dont on trouvera ici le compte rendu sur ce blog, on doit à Alain Gerber d’avoir inventé le genre littéraire du roman de jazz sur le mode de la fiction autobiographique.  



Mon ami Jean-Jacques Pinto pourrait bien pour sa part avoir inauguré celui du poème de jazz. La disparition récente de Toots Thielemans lui a donné l’inspiration de composer un très bel hommage versifié que le Coeur qui Jazze est heureux de publier avec sa permission.




À Jean-Baptiste “Toots” Thielemans, guitariste et harmoniciste de Jazz

Quatre-vingt quatorze ans : tu t’endors, Jean-Baptiste.
Le monde musical s’éveille un peu plus triste
Une semaine après qu’un vibrant vibraphone
De Jazz aussi s’est tu : vous saviez, toi et lui
Faire sonner vos lames, et résonner nos âmes
De mélodique swing. Oui, Bobby Hutcherson
Et toi, en ce mois d’août, nous laissez dans la nuit
D’une planète folle à ses excès livrée,
Alors que vous montez là-haut, dans l’Empyrée 
Où brillent les « All Stars » : Musical Hall of Fame… 

Tu tètes... Louis Armstrong, t’abreuves de Django 
Reinhardt, par qui te vient l’amour de la guitare. 
Puis les States — où tu croises Hank Jones et Tristano — 
Te mettent dans le cœur ce qui t’attend plus tard :  
Un parcours où le souffle prendra le relais 
Des doigts qui sur le manche ont déjà du talent, 
Puisque suivre Goodman est... l’occasion Benny 
Pour lancer ta carrière ! Et tu côtoies les grands : 
George Shearing, Eldridge et Zoot Sims, sans parler 
Du groupe de Charlie Parker (Philadelphie) ! ! ! 

Lena Horne — et son chant, que tu accompagnas, 
Te donna-t-elle envie d’utiliser ta bouche 
Pour siffler les chorus que tes doigts sur la touche 
Improvisaient ? De là, l’harmonica ? 
Non, car tu en jouais déjà pendant la guerre : 
Son beau timbre, qu’un film noir t’avait fait goûter, 
Et son petit volume alors te décidèrent : 
Ce serait ton saxo de poche, à emporter 
Partout, pour que l’idée mélodique impromptue
Puisse être à tout instant sur lui réalisée ;
Non seulement les thèmes au lignes élégantes
Mais aussi les impros, inspirées et swinguantes !
Tout cela sous-tendu par une oreille aiguë,
Formée aux intervalles, aux accords délicats...
Car c’est une évidence pour qui te connaît,
“Toots”, que tu as toujours fait de l’harmonie... cas !

Ray Bryant, Kenny Drew, puis George Arvanitas
Au piano t’accompagnent : avec eux, tes albums
Font connaître au public le soliste de classe
Que tu es devenu sans user du… piston
— À part celui qui sert à fair’ les demi-tons !
Sis sur ton tabouret, tel un lutin, un gnome,
Sur la scène tu es… prestidigitateur,
Car, soufflant dans ta main, tu nous fais apparaître
Les rubans colorés, pleins de mille couleurs,
De tes phrases tantôt alertes, stimulantes, 
Tantôt énamourées, douces et caressantes,
Venant nous émouvoir au profond de notre être…

T’avait-il inspiré ? La même année, plus tôt*, . . . . . . . . . . . . . .*en 1962
« Le Jazz et la java » de Claude Nougaro
Mêlait dans ses paroles les deux adversaires… 
Toi, faisant la synthèse entre “Blues” et “musette”,
Tu nous crées ce chef-d’œuvre intitulé « Bluesette »
Qui, lié à ton nom comme le Boléro
À celui de Ravel, fait le tour de la Terre !
C’est deux années plus tard qu’à la télévision
J’assiste, émerveillé, à une prestation
Où quatre musiciens — ce sont Elek Bacsik,
Sacha Distel, Boulou Ferré, Baden Powell —
Prennent un grand plaisir à jouer ta compo…
J’en ai depuis harmonisé le thème, et elle
Figure en bonne place à mes concerts publics. 

Si nombreux ont été tes exploits par la suite
Qu’on n’en peut parcourir ici les références !
… On a pu voir rimer Thielemans et Evans
— Bill — dans « Affinity », en soixante dix-huit,
Avec Larry Schneider et Marc Johnson. Batteur :
Zigmund — Eliot, pas Freud ! ! ! Bête plaisanterie !
… Avec le Shirley Horn Trio : « For my lady » ;
… Le Brésil tout entier t’invite, quel bonheur,
Dans « The Brasil Project » ; … et même au cinéma
Se savoure le son de ton harmonica.
J’ai eu, un jour d’antan, l’inestimable chance
De te voir en concert, Toots, à Aix-en-Provence,
Seul face à un big band : comme en un concerto,
Tu donnais la réplique à trombones et saxos,
Et sur ton tabouret tu te balançais tant
Qu’on a craint que tu tombes, emporté par l’élan
De tes phrases lyriques, ou rythmiques, selon
Que ballade ou bien Blues en notes tu racontes…
Le Jazz avait déjà son Roi, son Duc, son Comte
Et toi, Toots, anobli, tu en es... le Baron !

Ton dauphin, que tu as toi-même intronisé,
Est digne assurément de prendre la relève :
Olivier Ker Ourio, qui en valeur a mis
De Wiener l’émouvant « Touchez pas au grisbi »,
A, de cet instrument initiateur de rêves,
Après toi, GRÂCE À TOI, retrouvé le secret.
Emmenez-nous tous deux voler dans les éthers,
Oublier avec vous les soucis de la Terre !
Nous, public enchanté, profane ou musicien,
Voulons dans votre avion, pour notre plus grand bien,
Monter, et décoller, et parcourir ce ciel
Musical, à nos corps et âmes* essentiel . . . . . . . . . . . . . . . .« Body and soul » !
Et, ce club aérien, y passer des nuits blanches,
Crier « En avant Toots ! ». Et toi Toots, Tiens-le-manche !

Jean-Jacques Pinto, ce 22 août 2016

© Jean-Jacques Pinto 2016. Tous droits réservés.

        

samedi 23 juillet 2016

Du grand art, du grand Jazz. Rhoda Scott Quartet au 2ème Festival de Jazz de Saint Etienne les Orgues

Standing ovation en fin de concert pour Rhoda Scott et son formidable Lady Quartet, une des ladies (Lisa Cat-Berro) souffrante ayant été remplacée au pied levé par Julien, trompettiste  et frère de Sophie Alour, hier soir à la Médiathèque de Saint-Etienne les Orgues. Le public était venu en nombre  et avait pu y trouver refuge pour cause d'orage, après un déménagement réalisé à la dernière minute par toute l'efficace et bénévole équipe d'animation.


Un concert attendu donc et qui a tenu toutes ses promesses. Rhoda Scott qui en maîtrise à la perfection  toutes les subtilités a fait briller de mille éclats les riches textures sonores de son Hammond B3 vintage, un instrument datant, a-t-elle confié à l'assistance, de l'année 1960. A ses côtés une “front line” d'exception avec Sophie Alour au saxophone ténor et son frère Julien au bugle. 

Sophie et Julien font partie de cette nouvelle scène du jazz français où se conjuguent technique et sensibilité au service d'une musique à la fois moderne et accessible, puisant son inspiration auprès des plus grands maîtres du jazz moderne, tels Freddie Hubbard et Joe Henderson respectivement pour le frère et la sœur.

Sophie et Julien Alour au centre,
Fred Nardin, Fred Pasqua et Hugo Lippi

Au répertoire, des compositions originales de Rhoda Scott, “Nova” en ouverture de concert, “Valse à Charlotte”,  deux standards,  “I wish I love” (“Que reste-t-il de nos amours” de Charles Trenet) avec une superbe improvisation de Sophie Alour en tempo lent  ainsi que “Polka Dot and Moonbeams” cette autre très belle  ballade de Burke et Van Heusen.

De  grands classiques ensuite de la période faste des Jazz Messengers d'Art Blakey, le “Moanin' ” de Bobby Timmons et “One by One” de Wayne Shorter,  “Adam's Apple ” de Wayne Shorter encore,  le “Driftin' ” de Herbie Hancock, le “SideWinder” de Lee Morgan, autant de “tubes” Hard Bop  de la grande période Blue Note:


Petit retour aux années trente avec le célèbre “Stompin at the Savoy” entre  deux compositions originales de Sophie Alour extraites de “Shaker” son dernier album , “Joke” et “I Wanna Move by Body”.  En guise de bis le “What I Said” de Ray Charles, avec un percutant solo de Julie Saury à la batterie  fut l'occasion au final pour toute l'assistance de se lever et d'applaudir à tout rompre un concert qui devrait rester dans les mémoires.


Pour la séance des dédicaces, à laquelle se prêtèrent de bonne grâce Rhoda, Sophie et Julie, plusieurs spectateurs étaient venus avec de précieux vinyles, dont “Take A Ladder” le tout  premier disque  de Rhoda Scott enregistré en 1969 un an après son arrivée en France. De la même façon, lui fut montré par deux résidents de Saint-Etienne les Orgues le programme d'un concert à l'Olympia datant de 1978!



Un accueil enthousiaste donc pour cette grande dame du Jazz manifestement heureuse d'avoir découvert à Saint Etienne les Orgues un public réceptif et chaleureux. Rendez-vous est donné dans un an pour une troisième édition aussi brillante et réussie.

dimanche 10 juillet 2016

La légende du B3. Cinquième partie: Un américain et une américaine à Paris, Lou Bennett et Rhoda Scott

A huit ans d'intervalle, 1960 et 1968, alors qu'aux Etats Unis l'engouement pour l'instrument battait son plein à la suite du succès commercial des disques de Jimmy Smith, deux organistes, comme ce dernier initialement influencés et formés par la pratique de l'accompagnement des chants religieux à l'église, traversent l'atlantique pour venir s'installer à Paris. Ils connaîtront l'un et l'autre une brillante carrière européenne, et pour l'une encore à ce jour puisqu'il s'agit de Rhoda Scott que nous attendons avec une grandissante impatience ici même pour la deuxième édition du Festival de Jazz de Saint Etienne les Orgues (la bien nommée en l'occurrence, même si d'après Guy Barruol et al. l'étymologie du toponyme serait plutôt à chercher du côté d'une origine latine relative à l'indication d'une source).

Lou Bennett et Rhoda Scott (1996. Source TTH)

Lou Bennett:

Né en 1926 à Philadelphie et d'origine martiniquaise par son père, Jean-Louis Benoît, dit Lou Bennett, se forme très tôt à l'orgue liturgique avec ses deux grands parents, le grand père pasteur baptiste à Baltimore dans le Maryland, et la grand mère près de laquelle il fait l'apprentissage de l'accompagnement du chant choral  à l'église, au piano et à l'harmonium. Il apprendra en outre le tuba, ce qui selon  Geoff Alexander, auteur d'une excellente étude de 50 pages intitulée “The Jazz Organ: A brief history” n'est pas sans rapport avec son goût pour les basses puissantes  au pédalier. C'est sous l'influence de Wild Bill Davis qu'il se mettra au Hammond, même si, comme le précise également Alexander, on retrouvera surtout ultérieurement  sur son jeu l'influence de Jimmy Smith.


Cordonnier le jour, musicien la nuit, c'est ainsi que Lou Bennett fera ses débuts dans les clubs de Baltimore, avant d'intégrer l'armée en 1943.  Libéré, ses tournées avec son trio dans l'est des Etats Unis le mèneront à New York et dans ses clubs de jazz,  au Minton's Playhouse et au Small's Paradide où il fera la rencontre de Babs Gonzales. On se souvient que c'est Babs Gonzales qui avait introduit Jimmy Smith auprès de Frank Wolff et d' Alfred Lion, les deux patrons des disques Blue Note. C'est ce dernier ainsi que selon une autre source Daniel Filipacchi qui l'encourageront à venir s'installer en France.


Arrivé en 1960, il ne tardera pas à être remarqué et sollicité pour l'enregistrement d'un premier disque pour RCA, “Amen”, lequel rencontrera un grand succès dès sa sortie. Ce qui suit n'est qu'un extrait, le disque devenu introuvable ou vendu fort cher en occasion se trouve à présent au catalogue de
Gallica, le site de la BnF, autrement dit en accès payant via iTunes ou Deezer dans le cadre du partenariat signé entre BnF-Partenariats et Memnon Archiving Services. Cette privatisation du domaine public avait d'ailleurs déclenché une grande polémique il n'y a pas si longtemps.



“Au Ring Side, il y avait du beau monde, dans la salle comme sur scène. La combine consistait à engager des stars pour une semaine. On pouvait avoir Chet Baker ou Sonny Rollins. Mais surtout c'était pas loin de Pleyel, alors dès qu'il y avait un concert de jazz là-bas, les types débarquaient pour boeufer en deuxième ou troisième partie de soirée. Jimmy Smith est venu comme ça.”


“En 1956, le Ring Side déménage rue d'Artois, près des Champs Elysées. Kenny Clarke devient en quelque sorte le patron, une caution très importante pour les jazzmen américains qui viennent jouer en France. On baptise ce nouveau lieu le Blue Note”

J'ai extrait ces deux passages du livre “Le Roi René”, le magnifique ouvrage qu'a consacré la romancière Agnès Desarthe à la vie de René Urtreger pour situer le contexte de cette capitale trépidante du Jazz qu'était devenue Paris en ces années là et où Lou Bennett avait choisi de s'établir. Il devint précisément dès son arrivée en 1960 l'organiste attitré du Blue Note, formant avec Kenny Clarke et le guitariste Jimmy Gourley la section rythmique maison, dévolue à l'accompagnement des jazzmen américains de passage, comme ici le saxophoniste alto Herb Geller. Il arrivera à Jimmy Gourley d'être remplacé par René Thomas ou plus tard par André Condouant. La qualité audio et video est des plus médiocre mais c'est un des rares témoignages préservés de cette période dans l'activité  de Lou Bennett.


Après encore plusieurs disques aux titres évocateurs des origines religieuses de son art, “Echoes And Rhythms Of My Church”, “Pentacostal Feeling” (en grande formation avec des arrangements signés du trompettiste Donald Byrd qui avait comme lui à cette époque suivi les cours de Nadia Boulanger), Lou Bennett continuera à faire les beaux soirs du Blue Note jusqu'en 1968 et multipliera les tournées dans toute l'Europe pour finir par s'installer en Espagne, à Barcelone puis à Madrid.

“Pentacostal Feeling” est à présent réédité
dans la collection “Jazz in Paris”, sous le numéro 62

Lou Bennett, passionné d'électronique, cherchera à alléger et améliorer les performances acoustiques du B3,  le rendu des basses entre autres, en en modifiant certains circuits. Il mettra au point en 1978 un prototype de sa “Bennett Machine” dérivé de l'instrument d'origine, en quelque sorte un ancêtre des synthétiseurs avec ses “voix” rajoutées.


On retrouvera encore Lou Bennett dans une de ses rares vidéos disponibles avec ce document capté à Prague où on entend accompagné par le jeune  guitariste Philippe Catherine (à ne pas confondre avec le chanteur) et le batteur Franco Manzecchi. 


Cette dernière vidéo plus tardive, datant de sa période espagnole, nous fait voir et entendre le trio de Lou Bennett  accompagnant le saxophoniste  Abdu Salim:

et 

Rhoda Scott:

Née à Dorothy dans le New Jersey un 4 juillet 1938, Rhoda Scott, fille d'un pasteur de l'A.M.E. (African Methodist Episcopal Church), apprend la musique à l'église de son père, accompagnant très tôt les offices et les chorales de Gospel dans les églises avoisinantes. Elle apprend la musique classique au piano  et décroche à l'âge de 25 ans un Grand Prix de la Manhattan School of Music à New York. Au sein d'une petite formation de jazz elle choisit de se consacrer préférentiellement à l'orgue dont elle avait eu déjà eu sa première expérience à l'âge de sept ans à l'église.


La première chose, dira-t-elle, qu'elle fit à cette époque fut de se déchausser afin de se sentir plus à l'aise au pédalier, habitude qu'elle conservera et qui la fera surnommer “The barefoot lady”.  Count Basie la découvre et la fera jouer dans son club à Newark. Elle sera aussi remarquée par Eddie Barclay qui la fait venir pour un premier engagement au Bilboquet en 1968 à Paris où elle s'installera définitivement. Elle y suivra comme avant elle Donald Byrd et Quincy Jones, les cours de contrepoint et d'harmonie de Nadia Boulanger au Conservatoire américain de Fontainebleau. 



Une carrière nationale et internationale démarre alors pour Rhoda Scott dont la notoriété auprès d'un public plus large que celui du jazz doit beaucoup à ses débuts à quelques passages très remarqués à la télévision française, dont cet interview avec Denise Glaser au début d'un extrait du documentaire “The Barefoot Lady”, diffusé sur il y a quelque temps sur Mezzo.


Contrairement à Lou Bennett, dont il n'existe pratiquement pas ou très peu d'archives filmées sur YouTube, Rhoda Scott y apparait très souvent, dans des contextes variés, captés en près d'une cinquantaine d'années tout au long d'une activité musicale éclectique, sachant se jouer des frontières de genres, pur jazz, classique, chant religieux du gospel, chant profane, car elle chante, s'accompagnant elle même, n'hésitant pas en quelques occasions à emprunter au répertoire d'une certaine musique de variété, au meilleur sens du terme.


J'ai choisi en prélude apéritif au concert du 22 juillet un certain nombre de ces clips, sur la cinquantaine disponible, montrant Rhoda Scott en pleine action devant son Hammond B3. Ils sont de qualité technique inégale et j'ai privilégié  le plus possible la clarté de la prise de son et de l'image, à moins que l'intérêt documentaire n'en justifie la sélection.

Rhoda Scott a ici trente quatre ans dans “Moanin” , la célèbre composition de Bobby Timmons, le pianiste des Jazz Messengers d'Art Blakey. Elle y donne toute la mesure du talent qui l'avait fait reconnaître comme une organiste de tout premier plan, maîtrisant à la perfection toutes les possibilités d'un instrument dont elle était avec Lou Bennett l'une des rares à jouer en France.


La voici à présent avec la grande La Velle, disparue en février dernier, sur la grande scène du  théâtre antique au Festival de Jazz à Vienne, au moment où il fait encore jour, mais où commencent à s'allumer les projecteurs. C'était en 2011, avec un spectaculaire choeur de Gospel interprétant “Amazing Grace”. De toute évidence, il s'agit là pour Rhoda Scott d'un retour à ce qui fut pour elle dès l'enfance la source et l'âme de toute sa musique.




En 2010, Rhoda Scott était la vedette du Festival de Jazz de Pecs en Hongrie. Elle y interprète un de ses morceaux favoris, “Pistachio”, avec la tromboniste Sarah Morrow. Julie Saury est à la batterie et c'est en quelque sorte une variante du Lady Quartet que nous entendrons bientôt à Saint Etienne les Orgues.


Un petit retour en arrière en 1975 (ou 1977 ? )  avec une introduction démontrant toute l'agilité de Rhoda Scott au pédalier, suivie du très funky “Mercy, Mercy, Mercy” que Joe Zawinul avait composé pour le quintet de Cannonball Adderley, et devenu l'un des grands “tubes” du jazz. Cees Kranenburg était à la batterie.


Nous rappelant sa solide formation classique, Rhoda Scott exécute dans cette archive I.N.A. d'une émission de télévision datée de 1977 la Toccata et Fugue en ré mineur de Jean Sébastien Bach.


La suite de cette archive est  un Gospel interprété par Rhoda Scott, Eddy Mitchell, Nicole Croisille et le choeur des Peppermint. On l'a dit, depuis ses premières apparitions à la télévision, Rhoda Scott jouissait d'une enviable popularité et peu nombreux étaient les  musiciens de jazz à pouvoir être ainsi diffusés  en direct à une heure de grande écoute dans une émission de variétés. Il faut dire que le style du Gospel s'y prêtait assez bien.


Retournons à Vienne où Rhoda Scott joue et chante aussi le blues à la perfection et avec beaucoup de feeling comme ici avec le saxophoniste Ricky Ford. C'était en 2006 lors de la 26 ème édition de Jazz à Vienne.


A Vienne encore, dont Rhoda Scott est une invitée régulière, un superbe enregistrement en grande formation, avec la chanteuse Cecile Mc Laurin-Salvant, le vibraphoniste vétéran Michel Hausser, grande figure du jazz français, et le fastueux décor sonore déployé par l'Amazing Keystone Big Band. Un pur régal, une de ces soirées où l'on se dira longtemps que décidément, il était bien d'y être.



C'est aussi, j'espère, ce que se diront à la fin de son concert les spectateurs venus à Saint Etienne les Orgues pour écouter Rhoda Scott, beaucoup sans doute pour la première fois. Voici une captation au Sunside avec ce Quartet de filles que nous entendrons au Théâtre de verdure, et composé de Sophie Alour (je l'adore)  au saxophone ténor, Lisa  Cat-Berro au saxophone alto (elle aussi) ainsi que l'excellente Julie Saury à la batterie autour de Lady Rhoda Scott. La composition est à nouveau ce “Pistachio“ écrit par Pee Wee Ellis, saxophoniste et arrangeur dans l'orchestre de James Brown dont j'ai bon espoir que nous ayons la chance de l'entendre bientôt en direct.


Et puis, puisque j'ai très peu parlé des très nombreux disques enregistrés par Rhoda Scott en cinquante ans de carrière, je n'en  retiendrai de façon totalement arbitraire que l'excellent  “Very Saxy”, un double album enregistré live au Méridien de Paris, avec les saxophonistes Ricky Ford (CD 1)  et Houston Person (CD 2). Ici, Houston Person fait bien swinguer  C Jam Blues.


Dans cette courte interview, pour terminer par ses propres mots, Rhoda Scott nous rappelle encore une fois sa conception du jazz et de la musique en général:


Nul doute qu'à la suite de sa consoeur Shirley, Rhoda soit aujourd'hui en droit de prétendre elle aussi au titre de “Queen of the Organ”. Rhoda Scott, ou la générosité, la passion, le talent, l'ouverture. Rendez-vous le 22 juillet au soir au théâtre de verdure de Saint-Etienne les Orgues.

mardi 5 juillet 2016

La légende du B3, quatrième partie: Quelques organistes de Prestige... De Brother Jack McDuff à Charles Earland

Tous  ces nouveaux billets du CqJ consacré à l'histoire de l'orgue Hammond B3 sont en cours de correction et peuvent encore contenir  quelques coquilles et fautes de frappe que je m'efforce de rectifier progressivement. Je tiens à cet égard à remercier mon très grand ami de toujours Denis Lefèvre, excellent pianiste de jazz et président de l'Association Jazzaisneco pour son oeil d'aigle et ses remarques aussi impitoyables que pertinentes. 

Comme sa rivale Blue Note, la compagnie Prestige Records dirigée par Bob Weinstock avait fini par devenir dans les années cinquante une référence incontournable. Elle avait publié une bonne partie des disques phare du jazz moderne, les premiers enregistrements de Miles Davis, de John Coltrane, de Sonny Rollins et de tant d'autres.


Après le succès rencontré chez Blue Note par les premiers albums de Jimmy Smith à l'orgue, elle ne pouvait rester à l'écart de ce nouveau courant si commercialement prometteur du “jazz soul”. Des contrats furent signés, de nouveaux noms apparurent tandis que le Hammond B3 s'installait durablement au catalogue.

Brother Jack Mc Duff

“The Honeydripper”, référence PR 7199, sera son troisième album en 1961 pour Prestige Records. Grant Green et Ben Dixon qu'on retrouvera bientôt dans les studios de Blue Note y sont respectivement à la guitare et à la batterie. Le thème qui donne son nom à l'album est un blues en tempo medium basé sur un riff lancinant de saxophone joué par le grand Jimmy Forrest, particulièrement  renommé pour sa sonorité ample et chaleureuse.


Un an plus tard, dans “Brother Jack McDuff  meets the Boss”,  Prestige RLP 7228  l'organiste enregistre aux côtés d'une autre grande vedette de Prestige Records, en la personne du saxophoniste Gene Ammons.


Dans “Brother Jack Mcduff Live !”, Prestige 7274, la place du saxophoniste est tenue par  par Red Holloway dans une captation en direct effectuée au Front Room de Newark en 1963. Ce disque est aussi l'occasion d'entendre le guitariste George Benson à ses débuts. L'ambiance est celle d'un club et on mesurera tout ce que ce type de musique faite essentiellement pour transmettre et communiquer pouvait gagner à sortir des studios en allant à la rencontre du public.



On s'en convaincra facilement avec cette  archive O.R.T.F. / I.N.A. qui permet de revoir Brother Jack McDuff en pleine action au festival d'Antibes en 1964. [Ah les présentations d'André Francis avec le clap de début avec les mains !.. Elles auront  marqué mon adolescence !..]


Richard Groove Holmes

La notice en français de Wikipedia sur  Richard Holmes, dit “Groove” Holmes est des plus succinctes: Richard "Groove" Holmes était un organiste de jazz américain né le 2 mai 1931 et mort le 29 juin 1991. Grâce à son style très “funky”, il jouait surtout du soul jazz. 

En un sens,  ça dit l'essentiel, et le mieux est de laisser sa musique parler par elle-même. En fonction de la disponibilité sur YouTube qui est très importante, mais loin d'être exhaustive,  j'ai choisi un premier extrait issu du  “Soul Message” daté de 1965 et paru sous la référence PR 7435. Le titre, “Song for my Father”, est une belle composition du pianiste  Horace Silver, et montre aussi, s'il en était besoin, le fort ancrage de toute cette musique “soul” dans l'ethos hardbop dont elle était contemporaine.



“Living Soul” , sous le numéro PR 7468,  est une session enregistrée à New York en 1966. On y retrouve la très efficace formule trio orgue guitare batterie:


“Get  up & Get It”, PR 7514, sorti en 1967, fait entendre Richard Holmes dans un contexte purement jazz, avec une section rythmique prestigieuse constituée de Paul Chambers à la basse et de Billy Higgins à la batterie pour accompagner Teddy Edwards, l'un des meilleurs, sinon le meilleur de tous  les saxophonistes de  la côte Ouest. Difficile de rêver mieux. Elle est complétée par la guitare de Pat Martino dont c'était un des premiers enregistrements pour Prestige. 



“Soul Mist”,  l'album Prestige PR 7741 enfin, fut enregistré un an plus tôt, mais seulement publié en 1970. Sur une plage du disque, le trio devient un combo d'inspiration très hard bop, avec l'adjonction de  Blue Mitchell et de Harold Vick. On sera attentif à la façon dont l'arrangement  trompette  saxophone plus orgue sur le thème  de “There is no greater love” parvient à faire sonner le quintet un peu à la façon d'une grande formation.


Shirley Scott

Née en 1934 à Philadelphie, Shirley Scott, que l'on surnomma “The Queen of the Organ”,  est particulièrement représentative de la tendance “hard bop soul jazz” au sein de la compagnie Prestige Records pour laquelle elle enregistra plus d'une trentaine d'albums, avant de passer en 1964 chez Impulse, le label de Bob Thiele. Pianiste à l'origine, elle se tourna vers le Hammond B3 après avoir écouté Jimmy Smith (Jackie Davis en fait selon une autre source, et sans doute en fait les deux) . Sa collaboration avec le saxophoniste Eddie “Lockjaw Davis“ donna lieu à de nombreux albums, dont la série des  “Cookbooks” qui restent des sommets du genre.


Elle enregistra également par la suite dans  la même formule, (orgue saxophone batterie), avec Stanley Turrentine devenu son mari. Tous les disques de Shirley Scott donnent à écouter un jazz au swing souple et puissant où les sonorités de l'orgue et du saxophone se complètent idéalement. En voici un premier exemple datant de l'année 1958,  extrait du disque “Smokin” d'Eddie “Lockjaw ” Davis, PR 7301. On y remarquera la ligne de basse toute en clarté de George Duvivier  ainsi que le contraste entre la délicatesse de la  flûte de Jerôme Richardson et le “gros son” caractéristisque du jeu d'Eddie Davis.


“Skillet” est un  blues lent, un très “low down” et  “deep rooted” blues provenant de la même séance et publié dans le  Eddie Davis Cookbook vol 2 sous la référence PR 7782.


“Five Spot After Dark”, extrait du disque “Blue Flames”, PR 7338 enregistré plus tard en 1964 par Shirley Scott et Stanley Turrentine est pour ma part un monument de swing et de décontraction rythmique, à écouter et réécouter sans modération . On pourra comparer les styles très proches et différents à la fois d'Eddie Davis et  de Stanley Turrentine. 


Les ressources de YouTube étant pour une fois très maigres concernant les disques du catalogue Prestige  publiés sous son nom, je me contenterai de ce dernier extrait de l'album PRLP 7240 “Shirley Scott plays Horace Silver” enregistré en 1961 en trio avec Henry Grimes et Otis  Finch. Il s'agit de “Sister Sadie” , la célèbre composition du pianiste dans son album “Blowin' the Blues Away”


Don Patterson

C'était à la toute fin des années soixante. J'étais à Paris et à la librairie Gibert Jeune de la Place Saint-Michel parvenaient sans arrêt des cartons entiers de disques soldés en provenance des USA. Le sous-sol était devenu une vraie caverne d'Ali Baba, regorgeant d'éditions originales  Jazzland, Riverside, New Jazz et Prestige vendues 10 francs pièce de l'époque. C'est ainsi que “The Exciting New Organ of Don Patterson” avec  “The Hip Cake Walk” vinrent rejoindre ma collection avec tous  les Coltrane, les Miles, les Monk, les Sonny Rollins du catalogue Prestige qu'on y trouvait également  en abondance.

Je n'avais jamais entendu parler de Don Patterson, dont la notoriété est restée même jusqu'à maintenant plutôt confidentielle. C'est en réalité un très bon organiste, au phrasé original, plus sobre et jouant moins sur les effets du B3, axé avant tout sur le développement de la ligne mélodique à la manière d'un saxophoniste.  “The Exciting New Organ of  Don Patterson” était son premier album paru sous la référence PR 7323.

L'instrumentation y est  réduite au minimum, orgue, batterie et saxophone. Le saxophoniste qui lui donne la réplique  n'est pas des moindres puisqu'il s'agit de Booker Ervin, le compagnon de Charlie Mingus, hardbopper au son puissant,  aisément reconnaissable à la véhémence et au débit torrentiel de ses improvisations.  En voici deux exemples extraits de l'album dont le “Oleo“ de Sonny Rollins pris à vive allure comme il se doit.



“Boppin & Burnin”,  PR 7563, paru en 1968 nous donne l"occasion d'écouter l'emblématique “Donna Lee”, le thème acrobatique composé par Miles Davis à l'époque où il faisait partie du quintet de Charlie Parker, sur les harmonies de “Back Home again in Indiana”. Le très parkérien Charles McPherson à l'alto s'y retrouve en compagnie de Howard  McGhee, très grand trompettiste renommé pour avoir participé  à la naissance du bebop à la fin des années quarante.


Charles Earland

Je terminerai cet inventaire par deux enregistrements de Charles Earland, organiste et saxophoniste  né comme Shirley Scott à Philadelphie et bon représentant du “Hammond funk soul groove”.

“Black Talk” , PR 7758, paru en 1970 aligne une solide formation avec Earland à l'orgue, Virgil Jones à la trompette,  Houston Person au sax ténor, Melvin Sparks à la guitare, Idris Muhammad à la batterire ainsi que Buddy Caldwell aux congas. On y trouve ce très enthousiasmant “More Today Than Yesterday” que je me suis surpris à rejouer plusieurs fois.


“Living Black” , PR10009,  enregistré la même année, mais paru en 1971 nous restitue toute la chaude ambiance d'un  “live”, captée au Key Club à Newark dans le New Jersey dans un effervescent (*) “Milestones”. Le personnel est différent avec Gary Chandler à la trompette et Grover Washington au sax ténor. Earland y démontre son excellence en un contexte purement jazz, mais reste surtout connu pour être un maître du groove.



(*) Milestones est toujours joué de façon effervescente et rapide, comme dans la légendaire version originale  du sextet de Miles Davis:





samedi 2 juillet 2016

La légende du Hammond B3, 3ème partie. Organ and Soul, l'âge d'or Blue Note : De Baby Face Willette à Larry Young

En 1999 parut un double CD faisant partie de la collection “The History od Blue Note”, rétrospective des enregistements les plus marquants du label. Le volume 3 s'intitulait “1956-1967 Organ and Soul”. Cette période, commençant avec le premier enregistrement  de Jimmy Smith, fut en effet on ne peut plus marquante dans l'histoire  de l'orgue Hammond, modèle B3.


“Organ and Soul”, c'est également le titre du chapitre consacré à cette période par Michael Cuscuna dans le très beau livre intitulé “The Blue Note Years, The Jazz Photography of Francis Wolff”. Celle ci vit l'émergence de tout un style dit “jazz soul”, à l'époque considéré comme mineur par les puristes, mais dont on ne cesse de redécouvrir les trésors encore aujourd'hui.


A la fin des années 80, comme le rappelle Cuscuna à la fin de son introduction, tout un tas de DJ dans les clubs londoniens jouaient déjà des faces de vieux vinyles Blue Note pour faire danser des jeunes de vingt ans. La mode prit de l'ampleur, poursuit-il,  et s'étendit de Tokyo à New-York. De rappeurs célèbres se mirent à sampler des extraits pour les inclure dans leurs propres disques. A présent, tous ces disques sont devenus des collectors particulièrement prisés de toute une génération qui ignore souvent  qu'il arriva à la musique de jazz d'être parfois populaire.


Au milieu des années cinquante donc, dans le sillage de Jimmy Smith et suite à l'immense succès qu'il rencontra dès ses premiers enregistrements, se leva toute une pléiade de nouveaux organistes, anciens pianistes la plupart du temps. Alors que cet instrument se répandait dans les clubs et s'écoutait à la radio, toute une partie du public que les sophistications du bebop avaient pu faire se tourner vers des formes plus accessibles (blues, rhythm and blues, soul music) se mit à revenir  vers un jazz que sa qualification de soul jazz (littéralement jazz avec âme) n'empêchait pas de rester avant tout du jazz, et du meilleur, comme on peut s'en rendre compte aujourd'hui. 


La richesse sonore  du Hammond n'y était pas pour rien, et que ce soit en simple trio avec guitare et batterie ou  avec l'adjonction d'un  saxophone au sein des nombreux combos “orgue sax guitare batterie” qui se multipliaient alors, la musique était chaleureuse, dansante, elle plaisait et l'industrie du disque avait suivi, sinon précédé la tendance.

Baby Face Willette:

Baby Face Wilette n'aura enregistré que deux disques pour Blue Note. Sa notice Wikipedia (*) y est des plus succincte, ce qui n'est pas une raison pour ignorer sa musique, excellente de part en part comme on pourra en juger par ce “Somethin'Strange”, extrait de son album “Face to Face”, publié sous la référence BST 84068.


(*) Roosevelt « Baby Face » Willette, né le 1er septembre 1933 – mort le 1er avril 1971, est un musicien de jazz américain. Il jouait de l’orgue Hammond. Sous son nom, il a enregistré quatre albums : deux pour Argo et deux pour Blue Note Records. En tant que sideman, il a joué sur Here 'Tis de Lou Donaldson et Grant's First Stand de Grant Green, tous deux enregistrés en 1961.


Big John Patton : 

Big John Patton est né en 1935 à Kansas City. Sa mère, pianiste à l'église, lui apprit les bases du clavier.  Il fit ses débuts dans l'orchestre  de Rhythm and Blues  de Loyd Price. On peut lire dans sa biographie qu'alors que le précédent pianiste venait d'être congédié, John Patton n'eut qu'à jouer quelques mesures du début de “Lawdy Miss Clawdy”, le tube du chanteur, pour être aussitôt engagé. 

C'est là qu'il fera la connaissance du batteur Ben Dixon qui l'encouragea à se mettre au Hammond B3, toutes les fois que l'orchestre avait l'occasion de se produire dans un endroit qui en était équipé. Comme tous les pianistes  qui s'approprièrent  cet instrument à cette époque, il apprit à le maîtriser en autodidacte. Après avoir monté son propre “organ trio”, il s'installa à New York où il fit la connaissance du saxophoniste ténor Ike Quebec.


Ce dernier lui présenta le guitariste Grant Green et l'introduisit chez  Blue Note où il participa dans la période allant de 1963 à 1970 à de nombreuses sessions d'enregistrement, que ce soit comme sideman ou en tant que leader, en compagnie de quelques uns des musiciens marquants du label comme Lou Donaldson, Grant Green, Harold Vick, ou Don Wilkerson.

Son premier disque pour Blue Note, “Along came John”, BLP 4130, parut en 1963. Il y retrouva Ben Dixon ainsi que celui qui devait rester  longtemps son compagnon de route, Grant Green à qui il vouait une immense admiration.


“Grant is my love...I never heard nobody play the guitar like that brother...Grant started playing when he was about twelve and he was out there a long time...and I was so thrilled that I got a chance to play with him...

Big John Patton nous livre dans ce disque une musique enracinée dans le blues, tout à fait représentative de ce courant qualifié de soul jazz, jazz funk, en grande partie axé sur  sur l'efficacité rythmique et le sens du “groove”, tout en reprenant de par l'instrumentation et le style d'improvisation l'essentiel des codes du pur jazz hardbop.


Deux ans plus tard, l'album BLP 4239, “Let 'em Roll” en constitue le parfait exemple, dérivant  de cette forme de jazz héritée du bop dont Art Blakey et ses “Jazz Messengers” ou le quintet de Horace Silver s'étaient faits les porte-voix tout en effectuant un certain retour aux  fondamentaux de la musique populaire noire américaine.


Toute la force émotionnelle et la  beauté de ce style devenu avec le temps celui du grand  classicisme Blue Note tiennent en la réussite de cette synthèse,  où chacun, de l'amateur pointu au néophyte issu du public le plus large, peut trouver son compte. Tout aussi caractéristique en est ici la présence du vibraphoniste Bobby Hutcherson, un habitué plutôt des séances purement “jazz moderne” ou même qualifiées alors de “jazz d'avant-garde” de la firme. Les riches textures de l'orgue s'y marient à merveille avec les sons cristallins de l'instrument à lames vibrantes et donnent à l'ensemble un relief inédit.


Freddie Roach:

Freddie Roach, à ne surtout pas confondre avec le boxeur et entraîneur américain du même nom, n'a jamais atteint la popularité d'un Jimmy Smith. J'ai cependant une prédilection toute particulière pour ce  “Soul Jazz Hammond B3 organist” pour reprendre l"étiquette sous laquelle il se trouve rangé dans les encyclopédies du jazz. Il se fit connaître en 1960 sur “Heavy Soul”, Blue Note BLP 4093, un  album tout à fait excellent du saxophoniste Ike Quebec.


Comme leader pour Blue Note, il enregistrera cinq albums particulièrement réussis. Le premier, paru en 1962, s'intitule “Down to Earth”, référence BST 84113, avec le saxophoniste Percy France, Kenny Burrell à la guitare et le batteur Clarence Johnston. On peut entre autres y entendre ce très envoûtant théme de Henri Mancini, intitulé “Lujon”.  Je m'apprêtais à écrire que ce thème aurait fait une magnifique bande son pour un générique de film ambiance polar des années soixante, tels que les affectionne mon ami cinéphile expert et très grand amateur de jazz Alexandre Clément, avant de réaliser qu'ayant d'abord été destiné mais non retenu à la série télévisée de Blake Edwards “Mr Lucky”, elle même vaguement inspirée d'un film du même nom avec Gary Grant en 1943, il avait après coup servi à plusieurs autres bandes originales de films dont “The Big Lebowski”.


Cela dit, il faut écouter et réécouter dans la version qu'en donne Freddie Roach, après une introduction à la batterie et l'exposé un peu lancinant du thème “à climat”, le soudain flamboiement des registres du Hammond B3 précédant la reprise du thème et un premier chorus de Kenny Burrell soutenu par la “walkin' bass” féline au pédalier.


Quant au second album enregistré par Freddie Roach sous le titre “Mo greens please”, Blue Note BST 84128, toujours avec Kenny Burrell et Clarence Johnston, mais avec au saxophone Conrad Lester, le contributeur de Wikipedia s'enhardit même à considérer  qu'il est “perhaps one of the greatest 10 jazz organ sides ever recorded”.  


La même année, 1963, voyait la sortie d'un second disque, “Good Move”, BST 84158, un “bon coup” pour reprendre la double métaphore échiquéenne du titre et de la pochette, typique de ce design graphique très “Blue Note” qui fait aujourd'hui de chaque album vinyle original un collector très recherché.

Ce disque présente en outre la caractéristique particulièrement attractive à mes yeux  de déployer une “front line” de rêve, avec deux pointures purement jazz de la marque, le trompettiste Blue Mitchell aux côtés du saxophoniste Hank Mobley. La dernière plage, “On your way up”,  avec sa battue à quatre temps accentués  a même un air  de “Blues March”,  la triomphale et réjouissante fanfare  hardbop qu'affectionnaient de jouer Art Blakey et ses Jazz Messengers.


Je ne retiendrai pour conclure de la discographie de Freddie Roach que ce “Brown Sugar“, extrait du troisième album éponyme BST 84168, paru un an plus tard en 1963, et devenu rare et onéreux comme la plupart de  ces disques, que ce soit en édition vinyle d'origine ou en réédition CD japonaise.


Je le trouve particulièrement intéressant en ce qu'on peut y entendre sur un rythme “boogaloo” à la “SideWinder” un invité devenu depuis prestigieux, le très grand saxophoniste post coltranien Joe Henderson, un exemple supplémentaire de l'heureuse synthèse réussie à cette époque par Blue Note entre  tradition et modernisme.



Larry Young:

L'arrivée de Larry Young marquera un important tournant stylistique dans l"évolution du répertoire et dans la façon de jouer du jazz sur le B3.  Autant celle-ci avec Jimmy Smith et ses suiveurs reposait sur une base de blues traditionnel mêlée d'influences bop héritées de la musique de Charlie Parker, le changement de direction  initié progressivement par Larry Young tendit à intégrer à  sa musique l'influence et les innovations d'un autre géant du jazz en la personne de John Coltrane, improvisation modale essentiellement pour le schéma harmonique et du côté de la batterie, une polyrythmie foisonnante, telle que l'avait développée Elvin Jones aux côtés du saxophoniste. 


Après avoir enregistré ses premiers disques sur le label concurrent Prestige, il fait une apparition remarquée chez Blue Note  sur un disque de Grant Green en trio, “Talkin' About” , BST 4183 enregistré le 11 septembre1964. Il est significatif que le batteur de la session soit précisément Elvin Jones, impulsant de son accompagnement explosif le premier titre de l'album  “Talkin about J.C”, J.C. comme John Coltrane, bien évidemment. 


Peu après, le 12 novembre 1964, Larry Young retourne dans les studios de Rudy Van Gelder à Englewood Cliffs, pour y enregistrer  un premier album sous son nom, “Into Somethin'” BLP 4187. Il  continue à y développer un style à la fois en continuité et en rupture avec tout ce qui se faisait jusqu'ici à l'orgue: un accompagnement  plus en interaction avec le jeu des  solistes, comme ici l'aventureux et tout à fait passionnant saxophoniste Sam Rivers, un répertoire de compositions originales ainsi qu'une très grande liberté harmonique dans l'improvisation. 


En 1965 paraît ce que je considère non seulement comme le chef-d'oeuvre de Larry Young, mais aussi comme un des plus beaux disques de tout le riche catalogue Blue Note. Il s'agit sous l'étiquette BST 84221 de “Unity”, dont le graphisme de pochette, signé comme à l'habitude par Reid Miles, le célèbre graphiste maison,  suffirait  déjà à faire un collector absolu, et dont surtout  la musique impétueuse et inspirée jaillit à chaque plage comme un torrent d"énergie, propulsé par le drumming cataclysmique d'Elvin Jones. A chaque instant de l'album se touve donné libre cours à l'imagination créative de ces immenses maîtres de leurs instruments respectifs que sont Joe Henderson au saxophone ténor et Woody Shaw à la trompette. Voici l'une des dizaines de références dans  cette catégorie à posséder impérativement  dans sa discothèque.



Il y a cinq ans j'évoquais dans un des premiers billets de ce blog un album auquel j'ai toujours réservé une place à part dans ma discothèque pour l'avoir écouté mille fois après l'avoir trouvé presque par hasard en fouillant dans les bacs de “Chez Max”, le disquaire particulièrement bien achalandé et amateur de jazz de la rue Fabrot qui jouxtait le cours Mirabeau, à Aix en Provence. C'était  une époque bien révolue où il existait encore de tels endroits où se donnaient rendez-vous tous les passionnés mélomanes. On pouvait y discuter longuement musique avec le patron avant de repartir avec les derniers imports US. Il s'agit de “Street of Dreams”, Blue Note BST 84253, qui n'est pas un disque de Larry Young mais de Grant Green. 



Le plaisir d"écoute étant resté intact en plus de quarante ans déjà, je ne peux que reprendre mot pour ce que j'écrivais en mars 2011:

“Encore un disque d'orgue, particulièrement original, puisqu'on y entend une formation orgue, guitare, vibraphone et batterie, ce qui est plutôt rare. Larry Young, Bobby Hutcherson, Grant Green, et Elvin Jones en sont les protagonistes, et y créent un climat exceptionnel, sur de superbes thèmes pris en tempo lent à medium. Le pédalier de Larry Young entretient une très belle respiration , et le vibraphone de Bobby Hutcherson plane magnifiquement sur l'accompagnement orgue et guitare.


Quant à Elvin Jones, rarement entendu en ce contexte si cool, il pousse les solistes en cascades de triolets sur ses caisses, et sa pulsation aux cymbales est comme d'habitude une merveille d'élasticité et de décontraction. (la photo qui suit a été prise par Francis Wolff lors de cette session, eneregistrée le 16 novembre 1964 aux studios Rudy Van Gelder)


Tous les thèmes, “Street of dreams”, “Lazy Afternoon”, “Somewhere in the night”, sont des standards, superbement réinterprétés, avec une mention spéciale pour I Wish you love, où on on reconnaîtra le fameux “Que reste-t-il de nos amours” de Charles Trenet. L'absence d'aspérité en ferait une excellente musique de fond, mais ce disque mérite de toute évidence bien mieux que cela.”



Larry Young enregistra beaucoup d'autres albums dans des contextes électro acoustiques variés  jusqu'à son décès prématuré à New York en mars 1978. Après avoir participé aux sessions “In a silent way” et “Bitches Brew” de Miles Davis Il fonda en 1969 le trio Lifetime, avec Tony Williams, ouvrant  à l'orgue et par la suite  aux synthétiseurs  les nouveaux horizons du jazz-rock dit aussi jazz fusion. Mais ceci est encore une autre histoire.