Qu'on en juge, Eric LeLann, Pascal Bivalsky, Sara Lazarus, Patrice Galas, René Urtreger, le quintet de Fabien Mary, La formation "Voix Croisées" avec Airelle Besson, Celine Bonacina et Didier Levallet, le Quartet de Pierre Boussaguet avec Nicolas Folmer, le trio de Philippe Duchemin avec Christophe et Philippe Le Van, Denis Colin, Frank Tortillier, François Corneloup, et tout récemment Géraldine Laurent, autant de valeurs confirmées ou d'étoiles montante sur la scène du jazz en France y ont été invitées. N'oublions pas non plus la venue exceptionnelle de l'américain Lew Tabackin en 2014.
En 2018 sont annoncés pour la deuxième fois le formidable quintet, devenu octet, de Fabien Mary, ainsi que Camille Bertault en novembre, ce dont le Coeur qui Jazze se réjouit particulièrement à l'avance. A des dates plus rapprochées, toujours dans l'auditorium du Conservatoire de Saint-Quentin, deux concerts sont à ne pas manquer, le quartet du bassiste Nicola Sabato et du vibraphoniste Jacques Di Constanzo le 21 janvier 2018 ainsi que l'Open Book Quartet de Ricardo Del Fra avec Pierrick Pedron le 25 mars.
Après celui du concert de Géraldine Laurent, voici un nouveau compte-rendu d'une soirée qui devrait rester longtemps dans les esprits de tous ceux qui eurent la chance d'y assister. Avec Eric Alexander, "Number One" tel que le présenta au public le pianiste Harold Mabern, légende vivante du jazz moderne à lui tout seul pour les connaisseurs, on fêta ce soir là le retour à un jazz roboratif, joué "droit" (straight ahead), puissant et gorgé de swing, dans la grande tradition retrouvée du hard bop à ses heures les plus flamboyantes. Mais je laisse mon grand ami Denis Lefèvre qui en fut l'organisateur le présentateur et le témoin nous en dire un peu plus.
Le 26 novembre 2017 fera date dans les mémoires des membres et amis de l’association Jazz Aisne Co. Celle-ci avait en effet invité le quartet du saxophoniste Eric Alexander. Tiens, des jazzmen américains de passage à Saint-Quentin, voilà qui n’est pas si courant : on les croise plutôt dans les festivals de renom, dans les cabarets parisiens, en tournée dans les grandes villes du monde entier. Qui plus est, Eric Alexander n’est pas n’importe qui car, si la plupart des spectateurs étaient venus pour une fois en plus grand nombre que d’habitude pour découvrir un énième inconnu, la poignée d’amateurs de jazz bien informés ne s’y étaient pas trompés : ils voulaient écouter LE "number one" au saxophone-ténor du moment, comme l’a souligné avec autorité, conviction et à juste titre le pianiste Harold Mabern à la fin du deuxième morceau. Eric Alexander se présentait en compagnie d’une rythmique associant la génération des créateurs (le pianiste de 81 ans est l’un des rares musiciens encore en activité à avoir joué avec nombre de très grands jazzmen dès le début des années 50) à celle des continuateurs, tels Darryl Hall (b) et Bernd Reiter (d).
Certes, la cravate jaune d’Eric Alexander ne passa pas inaperçue, mais dès les premières notes du concert, le public comprit très vite que ce saxophoniste-là n’était pas simplement un "très bon musicien". Il avait sur scène le plus fidèle et le plus doué des disciples des grands noms du jazz nord-américain. Si tout au long du concert, il rappellera sans les copier ses illustres prédécesseurs tels Hank Mobley, Jimmy Heath ou John Coltrane - notamment aussi parce que la main gauche de Harold Mabern très percussive se rapproche parfois de celle de McCoy Tyner - comment ne pas penser aussi au Johnny Griffin des sessions avec Monk pour l’énergie débordante et pourtant tellement maîtrisée de son jeu, notamment sur "Bluesky for Vonsky", un bon gros blues écrit par le pianiste, introduit sans concession comme au bon vieux temps, sur lequel Eric tout à son inspiration ne prit pas moins de sept chorus sans tomber dans le pêché mignon de la phrase répétée.
Harold Mabern, quant à lui, se moque pas mal de ces considérations esthétiques. Répéter plusieurs fois le même trait, la même phrase ne le gêne pas, il s’en amuse au contraire, il joue, ne fait pas de quartier, percute et percute encore avec une fougue de jeune homme toutes les touches d’un piano qui n’avait probablement pas connu pareil traitement depuis un bail, n’hésitant pas de temps en temps à glisser un clin d’œil à Ray Charles, notamment pendant le chorus de contrebasse. Il faut dire qu’à son âge, on n’a plus rien à prouver…
Outre l’élégance, le public remarqua très vite l’homogénéité du groupe. Rien d’étonnant à cela puisqu’il est en tournée européenne, ce qui veut dire qu’il se produit plusieurs fois chaque semaine. Les quatre musiciens se connaissent par cœur et peuvent donner ainsi libre cours à leur envie du moment sans jamais vraiment surprendre leurs partenaires.
La seule véritable surprise fut la présence au programme de "She’s out of my life", magnifique ballade créée par Tom Bahler et reprise en son temps par Mickael Jackson. L’interprétation qu’en donna Eric Alexander avec son seul pianiste comme accompagnateur fut toute de délicatesse et de fluidité retenue, soutenue par un piano à la fois doucement percussif et plus lyrique qu’au début du concert.
Enfin, et s’il fallait retenir encore autre chose de ce fabuleux concert, c’est assurément l’aisance avec laquelle le saxophoniste accomplit son œuvre et promène ses doigts sur l’instrument, tant sur les ballades ("I thought about you") que sur les tempi rapide comme sur cette ébouriffante version de "I know that you know" prise du départ à toute vitesse, voire aussi - ce fut le cadeau de la fin – sur un rythme funky avec "Eddie Harris ", une composition d’Eric Alexander.
Ce souci du son parfait, de la rigueur, du soin, cette discipline visible à laquelle le saxophoniste s’astreint et qui n’éteint en rien la joie de jouer, nous les retrouvons chez ses accompagnateurs, notamment chez le contrebassiste Darryl Hall qui nous a gratifiés d’interventions bien senties, elles aussi soignées et d’une grande beauté. Sa vélocité, sa sensibilité discrète auront touché l’auditoire qui ne connaissait pas le musicien, mais qui sut lui rendre hommage par ses applaudissements soutenus.
Après le concert, nous nous sommes tous (ou presque) retrouvés autour de la table. Eric était toujours en cravate, tout aussi enthousiaste avec nous que sur scène. Le lendemain matin, les quatre visiteurs d’un jour sont repartis comme ils étaient venus, en voiture, presque incognito. Notre combat, qui est celui de l’art pour l’art continue…
Par chance le concert a pu être filmé et trois extraits mis en ligne sur YouTube avec l'autorisation d'Eric Alexander:
Prise de vue Emmanuel Bouvigne