mardi 28 juin 2016

En attendant Rhoda Scott au 2 ème festival de jazz de Saint Etienne les Orgues, la légende de l'orgue Hammond. Première partie, de Fats Waller à Milt Buckner

Les tout premiers billets de ce blog, il y aura six ans, furent consacrés à Jimmy Smith, Atsuko Hashimoto et Larry Young. Ils témoignaient déjà d'une  passion de toujours pour  l'orgue Hammond B3 dans le jazz. A quelques semaines de la venue de Rhoda Scott ici même, à Saint Etienne Les Orgues, pour la deuxième édition de son festival de jazz, j'ai eu envie d'offrir à tous ceux qui auront le privilège d'assister  à ce qui promet d'être une magnifique soirée le soir du 22 juillet au Théâtre de Verdure, un petit guide historique et stylistique consacré à ce magnifique instrument ainsi qu'à tous ceux et celles qui, de Jimmy Smith à Cory Henry  surent le faire briller de mille feux.


Le Hammond B3:

Il sera ici question essentiellement du mythique B3 dont le son inimitable fut popularisé dans les années cinquante par le maître absolu qu'en fut Jimmy Smith. Conçu initialement dans le but de remplacer sous un moindre volume les imposantes orgues à tuyaux des églises pour celles qui n'en avaient ni la place, ni les moyens, l'orgue Hammond du nom de son inventeur Laurens Hammond connut plusieurs déclinaisons depuis son invention en 1934. Basé sur un système de double induction electro-magnétique à roues, aimants et capteurs délivrant un signal amplifié au final, le Hammond est un instrument électro-mécanique de facture complexe, lourd (presque 200 kg) et encombrant avec son buffet, son banc, ses deux claviers et son pédalier de basses.


Le B3 fut introduit en 1955 et connut une longue carrière jusqu'à son retrait en 1974. Il fut ensuite remplacé par des versions électroniques, beaucoup moins lourdes, chaque constructeur (Farfisa, Roland, Korg, Kurzweil etc...) s'efforçant de reproduire le son de l'instrument d'origine. Avec l'essor du numérique, on peut aisément le reproduire en concert, par simple émulation logicielle (B4 de Native Instruments ou HX 3). Les résultats sont spectaculaires, mais on trouvera toujours, comme pour les amplis à tubes, des inconditionnels du son vintage.

Fats Waller, un pionnier de l'orgue de jazz.

L'utilisation de l'orgue en jazz ne commença pas avec le B3. C'était au départ dans sa version à tuyaux et soufflerie l'impressionnant instrument d'église utilisé au cours d'une longue tradition de musique religieuse qui connut son apogée dans les compositions polyphoniques et autres préludes et fugues de Jean-Sébastien Bach.

Comme le rappelle mon ami de Denver, Thomas Cuniffe, rédacteur en chef du site jazzhistoryonline.com et auteur d'une remarquable étude particulièrement documentée intitulée “Fats Waller and the pipe organ”,  Thomas Fats Waller avait joué de l'orgue dès son tout jeune âge à Harlem, à l'Abyssinian Baptist Church où officiait son père pasteur, puis au Lafayette Theater.

Il fut le premier musicien de jazz à faire swinguer l'instrument et les premiers enregistrements furent réalisés à la Trinity Baptist Church à Camden dans le New Jersey. L'église avait été rachetée par la compagnie Victor et son orgue spécialement modifié pour les besoins du studio. Soixante treize faces y furent enregistrées entre 1926 et 1939, avant que Fats Waller ne se procure un orgue Hammond en 1938.


En 1942, Fats Waller enregistra sur le Hammond model D, un des précurseurs du B3, son célèbre “Jitterbug Waltz”


La petite histoire retiendra qu'au cours d'une de ses deux tournées en Europe en 1938, et à l'invitation de Marcel Dupré, Fats Waller eut l'occasion de jouer sur les grandes orgues de la cathédrale Notre Dame de Paris.

Count Basie, Wild Bill Davis et Milt Buckner:

Dans son autobiographie intitulée “Good Morning Blues” Count Basie raconte son apprentissage de l'orgue aux côtés de Fats Waller, au Lincoln Theater, où ce dernier jouait de l'orgue de cinéma,“un Wurlitzer à tuyaux de dix mille dollars” pour accompagner les films muets de l'époque. Il fallait jouer diverses mélodies en regardant les images.

“Regarde l'image à l'écran disait-il aussi. Ne t'occupe pas du clavier. Quand tu suis l'image sur l'écran, joue ce qui se passe par la tête. Si tu vois que ça remue, joue quelque chose qui aille avec l'image. Si quelqu'un est triste, invente un petit truc qui colle. A d'autres moments il faut jouer quelque chose  de bien enlevé etc...”.  C'est  ainsi que ça se passait entre Fats et moi. C'est ainsi qu'il m'a appris, et ce sont les seules leçons d'orgue que j'ai jamais prises.

Basie, avant tout pianiste et chef d'orchestre, enregistra relativement peu à l'orgue. L'essentiel figure  dans l'album Verve VLP 9074 qui rassemble les sessions en petite formation enregistrées en 1952.


On y retrouve le style économique et élégant du Count au piano, enrichi des couleurs propres à l'instrument, comme dans ce très low down “K.C. Organ Blues”:



Un  autre chef-d'oeuvre est le  “Count Organ Blues” avec à nouveau l'aérien (et lestérien)  Paul Quinichette au sax ténor et Joe Newman à la trompette.


Au début des années cinquante, Wild Bill Davis sut exploiter toute la puissance et les timbres flamboyants  du Hammond en le faisant sonner comme un big band. Il avait écrit l'arrangement du  standard de Vernon Duke, “April in Paris”,  pour  le big band de Count Basie avec en guise de conclusion  les célèbres “One more time” et les trois  reprises surprise de l'orchestre. En raison d'un accident survenu au camion de transport, l'orgue n'arriva jamais au studio à temps pour la séance. “April in Paris” et son final furent pour Basie un énorme succès. Wild Bill Davis en reprit à son compte l'arrangement pour sa propre formation ramenée au trio guitare, orgue et batterie qui devait devenir pour de nombreuses années à venir  la configuration canonique du Hammond en concert. 


En 1969 à Berlin, un autre “April in Paris”. Le Hammond de Wild Bill était bien arrivé cette fois, et le big band était celui de... Duke Ellington. On remarquera que l'orchestre ne joue pas sur ce morceau, preuve s'il en était besoin qu'un B3 peut remplacer à lui tout seul un orchestre de 15 musiciens.

 

Toujours avec Duke Ellington pour la même tournée européenne, mais avec l'orchestre au complet cette fois, voici à présent un jubilatoire “Satin Doll”


Enfin sur  “Johnny Came Lately”, l'alerte composition de Billy Strayhorn enregistrée à Montreux en 1989, Wild Bill Davis donne à nouveau la pleine mesure de son  jeu tout en swing et en  souplesse, propulsé par l'accompagnement incisif de Mikey Roker à batterie.


Milt Buckner est principalement connu pour être à l'origine au piano du jeu en “Block Chords” dit encore “locked hands technique”, où les deux mains jouent simultanément en parallèle une mélodie d'accords, un procédé que Georges Shearing, Oscar Peterson ou Red Garland utiliseront largement par la suite. En voici une démonstration jouée par Milt Buckner au piano sur le thème de Robbin's Nest.

Au début des années cinquante, Milt Buckner adopta le Hammond qu'il contribua largement à populariser auprès des musiciens et du public. Son jeu exubérant, ponctué de grognements et de mimiques fit le reste.  Il vint en france en 1966, où sa carrière connut un nouvel essor avec de multiples tournées dans toute l'Europe, souvent en compagnie de Joe Jones, l'ancien batteur de Count Basie C'est ce duo qu'on entendra au début ce revigorant extrait de “l'Aventure du Jazz” le film réalisé par Louis Panassié à la fin des années soixante. En prime on peut y entendre et voir Georges Benson accompagnant à la guitare un spectaculaire numéro de claquettes de Jimmy Slide.



Milt Buckner enregistra en France de nombreux et remarquables albums pour le label Black and Blue, comme en témoigne éloquemment ce “Mack the Knife” en compagnie du saxophoniste Buddy Tate. L'alliance entre la sonorité enveloppante du Hammond et la chaleur  du saxophone ténor donnera lieu à une longue descendance instrumentale, en venant s'ajouter la configuration orgue guitare batterie déjà évoquée. 



A suivre... L'arrivée de Jimmy Smith, champion du monde poids lourds du Hammond B3

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